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était entrée chez nous quelques jours avant notre départ : c’était une grande fille bien faite, extrêmement jolie, active et d’agréable humeur. Nous la tenions du valet de chambre de monseigneur ; elle était de la ville où nous allions. Souhaitant de revoir sa famille et sachant notre prochain départ, elle s’était fait recommander par Sa Grandeur elle-même ; ce visage-là nous avait plu d’abord. On voyait bien que Thérèse n’était pas une vestale, elle avait même l’air de quelque chose d’absolument différent ; mais cela nous était égal. Elle coiffait supérieurement et faisait des chiffons avec beaucoup de goût et de propreté.

— « Que pensez-vous de nos hôtes, mademoiselle ? me dit-elle avec un ris malin et en me coiffant de nuit. Ne trouvez-vous pas que ces gens-là ne ressemblent à rien et que le plaisir de les voir vaut bien la peine de venir exprès de Paris ? » Je trouvai la question singulière et n’y répondis qu’en souriant. Elle continua : « Vous ne savez peut-être pas, mademoiselle, qu’ici je suis en pays de connaissance ? J’ai servi trois ans dans cet hôpital de fous, et, si vous vouliez me promettre de ne me trahir jamais, je vous conterais des histoires qui vous réjouiraient à coup sûr… Mais pourrait-on se fier à mademoiselle ? elle est si jeune, et il y a si peu de temps que j’ai l’honneur de la servir. — Va ton chemin, Thérèse ; tu peux sans rien craindre me confier tout ce que tu voudras, je brûle déjà de savoir à fond ce qui regarde ces originaux ; compte sur un secret inviolable ; tu as donc des choses bien divertissantes à me conter de ces gens-là ? — Mademoiselle, vous allez en convenir.

« Quand j’entrai en condition dans cette maison (et il y a déjà cinq ans), j’étais encore fort jeune : M. le président m’avait tirée d’une boutique de modes, où j’étais apprentie. Ma maîtresse me persuada que je serais fort heureuse ; en effet, M. le président me combla d’amitiés. Bientôt il fit plus, il me parla d’amour ; il me donna bien de l’embarras, car cet homme est un vrai satyre. Il aime les femmes à la fureur. On dit même qu’il ne dédaigne pas les garçons ; il a toujours quelque petit laquais mignon… Mais qu’il s’ar-