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Le Comte. (avec un peu de gêne) Ah ça ! ma chere Desaccords. Je ne me suis jamais donné la peine de murer la bouche aux sots qui se mêlent à tort et à travers des réputations du prochain. A-t-on un peu de figure, d’esprit, du succès dans la société, tout aussitôt cent envieux s’évertuent à vous diffamer. Je sais à quelles aventures, votre méchante diatribe a voulu faire allusion. Ecoutés moi : — j’ai toujours détesté l’état militaire : au moment où l’on m’y procurait sans me consulter un avancement, certain humoriste s’avise de s’en trouver lésé, me provoque et prétend que je ne jouirai point de mon avantage avant de m’être coupé la gorge avec lui ! Dans cette circonstance, je me montre assés pour faire sentir qu’un fier à bras ne me fait point peur ; mais en bonne conscience, à moins d’être fou, pouvais-je pousser à bout les choses, pour l’objet d’une première lieutenance dont je ne me souciai nullement ; il était sans doute plus généreux d’accabler de mon désintéressement l’ennemi qui menaçait ma vie : je lui cede le miserable emploi…

Mlle. Desaccords. Voyés un peu la noirceur et voilà ce que les méchans veulent faire passer pour une lâcheté !

Le Comte. J’aime au contraire les beaux arts. Je vais à Rome. Là, j’ai le bonheur de faire d’excellentes connaissances…

Mlle. Desaccords. Tout-à-l’heure je vous en faisais compliment.

Le Comte. La chaleur avec laquelle un cardinal me recommande à mon retour, à certain personnage de ce pays-ci, qui par malheur se trouve jouir d’une réputation baroque…

Mlle. Desaccords. Epargnés-vous tout ce détail, mon cher comte… En passant des mains d’une homme à réputation baroque pour me servir de vos expressions à d’autres gens aussi baroques ; tels enfin que l’est, bien publiquement, Mr. de la Grapinière, votre propre réputation est devenue très baroque à son tour.

Le Comte. Qu’en veux-tu conclure, joli Démon ?