Page:Nerciat - Contes saugrenus, 1799.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 17 )

LE TEMOIN RIDICULE.




Tout le monde sait qu’à Paris, avant la révolution, les Maitres (c’est à dire ceux qui se mêlent d’enseigner quelque chose, et la musique sur tout) ne se bornaient plus à donner les leçons sous prétexte des quels ils s’étaient introduits chés le monde. Quelque cher que fut le prix du cachet, il eût été difficile qu’avec cette seule ressource, ils fournissent à leur enorme dépense, la plupart de ces Messieurs faisant bonne chère, ayant une riche garderobe, des bijoux, des voitures, et ne se privant d’aucun spectacle, d’aucune récréation publique, sans parler de ce que pouvait coûter une beauté qu’il était aussi du bon air d’avoir à ses gages. La lyre ostensible d’Apollon rapportait moins à ces industrieux personages que le caducée de mercure et le bourdon de Priape, entre lesquels certains optaient, et que plusieurs déployaient alternativement. Une leçon d’une heure est quelque chose de si maussade ! comment entretenir pendant soixante minutes, une jolie femme, de sept misérables notes ! comment la tenir autant de tems à la torture pour qu’elle s’habitue à bien doigter sur la harpe ou le forté piano ! „ un art de plaisir doit s’apprendre avec plaisir, la gêne, la fatigue, l’ennui glacent le genie et le rebutent. “ On enseigne donc parfaitement bien partout où, avant d’ouvrir l’instrument et les cahiers de musique, on a provoqué les confidences, pris la hauteur des intérêts du jour, appris ce que l’écolière a fait la veille et ce qu’elle compte faire le lendemain, reçu le billet qu’il s’agit de faire tenir bien mistérieusement de sa part à Mr . un tel, ou rendre compte d’un précédent message. Bien plus adroit encore est le virtuose intéressant, qui, presque médecin, juge d’après le compte de l’état où l’écolière se trouve, que tel ou tel agréable palliatif lui est nécessaire, et qui parvient à lui