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LE CRIME D’UN PÈRE

d’un flot sanguin, il marchait sur René, ayant entièrement perdu tout contrôle sur lui-même ; d’un geste instinctif, le jeune homme le repoussa et, loin de s’attendre à une pareille attitude de la part d’un « subalterne », le « dictateur » perdit l’équilibre et, abandonnant toute dignité, alla s’asseoir un peu trop précipitamment dans un coin du bureau.

Il se releva, fou de rage, avec, aux yeux, une lueur de meurtre et se jeta impétueusement sur René d’Anjou qui, d’instinct, l’arrêta d’un « uppercut » impeccable.

L’homme pirouetta, croula, heurtant du front l’angle de la table-bureau.

Hébété, René regardait maintenant le colosse effondré, qui, la tempe ensanglantée, mais la face blême, les traits contractés par la douleur, répétait avec un accent de stupeur effrayée :

« Assassin !… Assassin !… »

Soudain, la pâleur devint cadavérique, le regard vitreux et, après une dernière imprécation, un suprême soubresaut, le blessé laissa retomber sa tête… et ne bougea plus.

René restait atterré.

Quelques instants plus tôt, il était entré dans l’office, un peu intrigué, mais de bonne humeur ; maintenant, il était un des acteurs principaux d’un sombre drame ; devant lui, un homme gisait, inanimé, dans une mare de sang.

Des pas, précipités résonnèrent dans le corridor.

On venait en hâte.

Sans même réfléchir à ce qu’il faisait, mû par l’instinct de la conservation, il se jeta derrière la porte, au moment où elle s’ouvrait violemment ; puis, tandis qu’on se précipitait au secours de la victime, il franchit le seuil d’un bond et s’enfuit.

CHAPITRE II

PREMIÈRE DÉCEPTION


Tu songes
Aux chauds et vains serments qu’elle t’a faits
Et qui pourtant n’étaient que de parfaits
Mensonges.

Après s’être éloigné à vive allure du « building », sans choisir son chemin, avec la simple préoccupation d’augmenter la distance entre lui-même et le lieu du crime, René finit par ralentir sa marche et se demander ce qu’il devait faire.

Sa première idée fut d’aller se constituer prisonnier et de raconter les faits tels qu’ils s’étaient passés. On ne pourrait le considérer comme un meurtrier ordinaire ; on comprendrait certainement que seule, la fatalité devait être tenue responsable ; attaqué, il s’était défendu, mais sans l’intention de blesser son agresseur, dont la mort devait être considérée comme un pur accident.

Mais non, on ne le croirait pas !

Ses compagnons de travail déposeraient qu’il avait été appelé au bureau de M. Atkins pour y être vertement réprimandé, étant soupçonné d’avoir fraudé sa comptabilité, d’avoir volé. Sans doute, il lui serait aisé de prouver sa parfaite honnêteté, mais l’accusation subsistait et l’avis des jurés serait que, pris de rage en se voyant calomnié, il avait frappé et tué.

« Tué !… jurés !… Accusation ! »

Ces mots se bousculaient dans son cerveau enfiévré, entraînant à leur suite d’autres pensées plus cruelles encore, d’autres mots plus macabres :

« Prison !… Condamné !… Échafaud !… »

L’échafaud… et la honte !… Ah ! non ! pas cela ! Il fallait fuir !… Mais comment ?…

Aller chez lui, puis à la banque, rassembler les effets et l’argent nécessaires à la fuite ? Mais non, son logement et sa banque seraient les premiers endroits où l’on tendrait une souricière ; ce devait être déjà fait, car la police prévenue par téléphone, avait dû s’empresser de s’enquérir de ses tenants et aboutissants.

Il se sentit poursuivi, troqué, bête fugitive que pourchasse la société ; ne valait-il pas mieux encore affronter le procès, essayer de convaincre juge et jurés ?

Mais le fait de s’être enfui au moment du drame ne pèserait-il pas sur lui comme une implacable accusation ? À toutes ses protestations d’innocence, ne répondrait-on pas que, seuls, les coupables cherchent le salut dans la fuite ?

Tandis qu’il marchait au hasard, en proie à l’indécision, il se trouva sur la rue Sherbrooke, où demeurait la famille de sa fiancée. Un besoin impérieux, irrésistible, le prit de se confier à un cœur ami et, sans plus tergiverser, il se fit annoncer à Mademoiselle Marcelle Dechênes.

Celle-ci le reçut au salon, aimable et souriante comme de coutume, bien qu’un peu intriguée par son air étrange et par l’imprévu de sa visite. Le malheureux jeune homme s’élança vers elle et, lui serrant la main avec effusion, il s’écria :

— Enfin, Marcelle, me voici près de vous !…

— Mais qu’avez-vous donc ? s’informa la jeune fille, surprise de sa pâleur et de son trouble.

— Il m’arrive une chose affreuse, ma bien-aimée, une chose qui peut-être retardera l’heure bénie où doivent s’unir nos destinées.

— Expliquez-vous, je vous en prie !

— Marcelle, j’ai confiance en vous, comme vous devez avoir confiance en moi et s’il survenait un obstacle entre nous, nous unirions nos efforts pour le briser, le surmonter !… Car vous m’aimez comme je vous aime, n’est-ce pas ?

— Sans doute, mais…

— Marcelle, notre bonheur est menacé !

— Ciel ! que me dites-vous là, René ?… Ah ! je comprends, vous avez cessé de m’aimer et vous cherchez une excuse, un prétexte pour reprendre la parole que vous m’avez donnée.

— À Dieu ne plaise !… Jamais je ne cesserai de vous aimer, Marcelle, et rien ni personne ne me fera renier mon serment, mais s’il arrivait que je sois accusé d’un crime, si j’étais obligé de fuir la justice de mon pays…

— Vous, un criminel ? Mais c’est impossible !… Vous voulez m’éprouver !… Ou alors, il s’agit d’un accident, d’une horrible fatalité !

— La fatalité, oui, Marcelle, c’est bien elle en effet, qui m’a poussé à frapper mon patron et à le tuer.