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LA VIE CANADIENNE
ment et le verdict fut unanime en sa faveur. A la fête écossaise, la Saint-André, la fête anglaise, la Saint-George, la fête irlandaise, la Saint-Patrice, le musée, sa façade, la rue reprenaient l’éclat et la pompe du 4 juillet avec des variantes appropriées chaque fois. On en parlait sur toute l’étendue de l’Union. Les membres de ces différentes nationalités étaient spécialement reçus avec tous les honneurs et le bruit de la musique, à demi prix, s’il vous plaît, et Barnum devenait le type du citoyen américain ami et amuseur de tout le monde. Il fut imité dans les grandes villes, ce qui veut tout dire.
En 1850 notre homme était dans 1 âge de la quarantaine et son cirque parcourait les Etats-Unis, même le Canada. Ce n’était plus les maigres escouades de faux comédiens et de plats bouffons qui de tout temps avaient attiré les badauds et les désoeuvrés ; ce n’était plus un tambour, une clarinette et un triangle appelant la curiosité ; ce n’était plus la légendaire charette couverte d’une bâche renfermant les accessoires d’une humble exposition théâtrale ; c’était du grandiose, de la dorure en plein vent, des carrosses aux formes antiques, des chevaux de luxe, des parures incroyables, un corps de musiciens nombreux et costumés princièrement, des cages ouvertes montrant des bêtes féroces pour rien, des éléphants, des chameaux, des zèbres, enfin. . . Le lecteur m’arrête et dis : Je connais cela. Oui, mais en 1850 c’était immensément nouveau et nous sommes au XXe siècle. J’écris ces lignes parce que les souvenirs du temps de ma jeunesse ne se retrouvent point dans la génération actuelle. Jamais vous ne verrez dans les campagnes et dans les villes l’enthousiasme général, ah ! général, qui saluait l’arrivée du cirque. Nous n’avions aucune fête annuelle comparable à ce passage des phénomènes et des étourdissantes, des flamboyantes, des mirobolantes parades de Barnum. On y pensait durant onze mois et trois quarts de l’année. La semaine du cirque était au-dessus de toutes les semaines. La vie monotone de cette époque n’attendait pour se dégourdir que ces choses quasi incroyables : la ménagerie, les acrobates, les écuyères, la belle musique, les voitures gigantesques et dorées, les plumes au vent, les banderolles, les pavillons, les tentes d’une capacité fabuleuse, les tours de force et les sauts du tramplin. Ces joies sans pareilles, vous ne les avez plus, mais nous qui les avons goûtées nous en parlons encore après soixante ans et Barnum vit dans nos souvenirs comme dans une apothéose qui se prolonge indéfiniment. Il nous a laissé la naïve impression que les enchanteurs des contes de fée répandent parmi les âmes jeunes et avides du merveilleux. Jamais vous ne vous amuserez autant que nous nous sommes réjouis en ce temps-là. Vous aurez sous les yeux trop de choses extraordinaires pour comprendre la fantasmagorie de la “grande semaine” de Barnum. Et en avait-il des tours dans son sac ! Voilà qu’un matin on lui présente le tout petit garçon appelé Stratton, âgé de cinq ans, haut de vingt pouces et il le nomme de suite le général Tom Pouce ou Tom Thumb, si vous voulez. Je l’emporte en Europe, le montre à la reine Victoria, donnant à son phénomène les dix ou douze ans pour produire plus d’effet sur les imaginations. Les autres souverains y passent à tour de rôle, la renommée s’en mêle et de retour aux Etats-Unis, en avant la grosse caisse avec le petit général. Les écus pleuvent dans le Muséum ; partout où va le cirque, Tcm Pouce c’est de l’or en barre.
Jenny Lind, en 1850, faisait florès dans le nord de l’Europe. Barnum visite les magasins de toilettes de New-York, dicte les modes “Jenny Lind”, annonce la venue de la grande cantatrice, secoue l’attention publique par des moyens inattendus, cause une. effervescence extrême dans toutes les classes de la société, haut et bas, installe royalement sa chanteuse, organise des processions inouïes où elle figure et comme elle ne peut suffire à se montrer aux balcons des villes, aux promenades sous les yeux du peuple, une autre femme, toute pareille à l’idole du jour prend sa place par occasion. Et allez, la musique ! Quelles recettes ! Rien de comparable ne s’était vu.
Qui n’a pas rencontré quelqu’un qui avait contemplé les enchantements de Niblos Garden ! Il y a un cousin du beau-frère de l’un de mes amis qui a manqué de les voir, et c’est déjà beaucoup pour moi.
Et le grand feu qui a brûlé tout cela avec les lions et les giraffes ! Les flammes n’étaient pas éteintes que Barnum signait des contrats pour la reconstruction, plus en grand, plus beau, plus complet que jamais. J’ai connu deux Trifluviens qui sont partis alors pour l’Afrique à la recherche des tigres, des rhinocéros, des gazelles, etc. Au