44
LA VIE CANADIENNE
voici le télégramme qu’elle reçut et qu’elle transmit illico à la destinataire : DAME FRANÇOIS VEILLET
CHEVAL RESTE CAP. FEMME PAS
EN PEINE. ALPHEE ANGELUS.
(Signé) FRANÇOIS VEILLET
Le pittoresque de ce message parut tel, qu’en quelques heures, sous le voile du secret, il fut connu du village, puis en quelques jours, il devenait fameux dans toute la région. Et les anciens en parlent encore. Loin de s’en plaindre, François Veillet s’estima heureux d’avoir étonné ses concitoyens et lorsqu’on lui parlait de son télégramme, sur ses vieux ans, il souriait plaisamment. Dame, il avait raison, car le premier venu ne peut pas se vanter d’avoir fourni sa contribution à l’histoire de sa paroisse, sinon à celle de son pays, au moyen d’un télégramme de trente sous. E.-Z. MASSICOTTE.
BARNUM
Il y a plusieurs années, à Boston, je lus dans un journal : “Blague à la Barnum’’ ce qui voulait dire tromperie. Je n’étais pas du tout content parce que j’ai gardé de ce personnage une idée bien différente de cette accusation de blague qui comporte le sens de hâblerie, mensonge, charlatanisme. Revenu à Ottawa, j’avais oublié l’affaire, mais voici que me tombe sous la main l’histoire de la carrière du grand montreur de cirque et j’y trouve ample matière à fortifier mes anciennes impressions.
Puisque j’écris pour le plaisir, prenez donc sans façon cet article qui, je gage, ne vous causera aucun ennui et que je fais le plus court possible.
Un garçon pauvre, intelligent, courageux, honnête sur tous les points, amasse des sous, en multiplie le nombre par un petit commerce, change de négoce, palpe des piastres, adopte un nouveau métier, brasse des centaines de piastres, invente d’autres moyens de gagner de l’argent, se fait un nom, un crédit, cueille des amitiés protectrices, enlève la classe populaire, roule sur de grosses sommes, succombe dans une ou deux catastrophes, se redresse parce qu’il a une renommée grande et sans tache, redevient riche, étonne le monde de plus en plus et finit ses jours en pleine prospérité — c’est Barnum. La blague ne fait point ces choses-là, elle reste à ras de terre.
Né en 1810, dans le Connecticut, d’un père qui trafiquait en petit et sur tout — general store — Phineas-Taylor Barnum fréquenta l’école sans s’en apercevoir, tant il y entra de bonne heure et tant il était déjà occupé à glaner des sous. Dès l’âge de six ans, sa tirelire se remplissait et il ne gaspillait rien. Un peu plus tard il “valait’’ quarante piastres. Ce fut la base de sa fortune. Alors, il tenta une première spéculation et doubla son capital en vendant des choux, des raves, des fruits et du poisson. Il avait prodigieusement l’oeil aux affaires et tout en lui indiquait le talent créateur qui opère autrement que les autres quand les autres sont embarrassés. Ce même talent transporté dans le militaire, l’industrie ou la politique se nomme le génie, tant il est vrai que nous ne savons pas toujours ce que nous disons.
Notre garçon usait de procédés nouveaux dont on s’apercevait, et qui ne manquaient pas de surprendre son entourage, de sorte que, arrivé à quinze ans, il jouissait d’une renommée à la fois respectable et prestigieuse : n’importe qui lui aurait confié des fonds s’il les avait demandés. Son étoile se levait, attirait les yeux, mais lui, il se disait que tout cela compterait bien davantage dans l’avenir. Il soignait le présent d’après ce calcul. Son père n’avait suivi que le sentier de la routine. Phinéas piquait à travers champ pour aller au plus court. Le voilà à la tête d’un département dans un grand magasin, puis on le charge de débrouiller les comptes d’un marchand en faillite, après cela, il achète des terrains, les fait valoir, les revend, organise des fêtes publiques à temps perdu et entre par cette porte dans l’éloquence populaire qu’il pratique avec succès — nouvelle corde à son arc.
Un jour, il disparaît : c’cst qu’il est le chef d’une troupe de saltimbanques qui rôde partout et jusque-là avec peine et misère, mais sous la gestion de Phinéas elle prospère, cependant il dit à qui veut l’entendre que c’est encore un métier de passage, dans l’unique
