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LE CRIME D’UN PÈRE

pouille ! Ma femme était encore pire que moi. N’est-ce pas, Zénobie ?

Comme gênée, elle hésitait à répondre, il répéta, scandant les syllabes :

— N’est-ce pas, Zé-no-bie ?

Et la femme confirma avec douceur :

— Oui, Polyte !

— Très bien !… Mais ma femme est devenue honnête tout d’un coup !… Dis comment, Zénobie !… Dis le !

— Oui, Polyte !… C’est moi qu’avais donné un coup de couteau à Polyte !… Oh ! c’était pas méchamment…

— Non, interrompit, Polyte, c’était pour le « fun ! »… continue Zénobie !

— C’était par jalousie !… Mais quand j’ai vu qu’il était près de mourir, puis de faire de moi une veuve sans mari…

Comme elle essuyait furtivement une larme, Polyte intervint, en maître impitoyable :

— Continue, Zénobie ! Tu pleureras quand t’auras fini.

— Oui, Polyte !… Ça m’a toute commotionnée ! Et pis, quand j’ai vu qu’il voulait pas dire que c’était moi qu’avait fait le coup, pour pas que j’aille en prison, j’ai été confusionnée de sa grandeur d’âme !… Enfin, j’ai décidé de faire du monde de moi !…

— Oui, reprit Polyte, d’abord, elle s’est trouvé de l’ouvrage !… Pis, elle venait me voir à l’hôpital pour me porter des friandises : des oignons d’Espagne, du camembert !… Enfin, elle m’a acheté ce bel habillement tout neuf du magasin de seconde main. N’est-ce pas, Zénobie ?

— Quand j’ai vu ces enfants à mon chevet, me soignant, ainsi que Monsieur d’Anjou et vous, Monsieur le docteur, j’ai compris ce que c’était que la conscience et le devoir. J’en ai parlé à Zénobie, on a fait nos Pâques, on a juré de faire du monde de nous et on tiendra notre promesse, n’est-ce pas, Zénobie ?

— Oui, Polyte !

Les spectateurs de cette scène étaient trop anxieux pour songer à s’en amuser et le docteur Renouard traduisit l’impatience commune en ramenant Polyte au but de sa visite.

— M’y v’là justement, monsieur le docteur, répartit le bonhomme. Nous sommes pauvres et je ne peux pas espérer être capable un jour de vous payer vos soins. Cependant, je peux vous remercier d’une façon qui vous touchera bien plus que n’importe quel paiement : Apprenez donc que Zénobie et moi, nous sommes vos anciens domestiques : Polyte Boireau, et Madame !… Notre vrai nom, c’est Dubois, mais on a eu quelques alias !

— Alors, c’est à vous…

— Que vous avez confié votre bébé pour en prendre soin. Au lieu de cela, nous l’avons maltraité. Nous vous en demandons humblement pardon !… Pardonne-nous aussi, Freluquet, et… cours embrasser ta mère !

Henriette poussa un grand cri :

— Jean-Paul ! Mon petit Jean-Paul !

— Maman ! Ma vraie maman !

Et tandis que tous deux se tenaient étroitement enlacés, l’enfant murmura ingénument :

— Mon cœur me l’avait dit déjà que tu devais être ma vraie maman !

Le professeur s’approchait timidement :

— Veux-tu me pardonner, Jean-Paul ?

Pour toute réponse, l’enfant lui sauta au cou, puis l’amena à sa mère pour qu’il reçut le baiser du pardon définitif.

René, pendant cette scène familiale, s’était approché de Polyte qu’il interrogeait discrètement :

— Et Pauline… je veux dire : Greluchette ?

— Greluchette est une… enfin, une orpheline. Voici son baptistaire. Elle s’appelle Marcelle Lecomte. On ne connaît pas son père. Sa mère nous l’a confiée en mourant !… Ah ! nous avons été des misérables !

Et comme le gros homme sanglotait, imité par Zénobie, Renouard vint à lui, la main tendue, disant avec bonté :

— Votre repentir et la joie que vous nous donnez aujourd’hui vous assurent le pardon.

Polyte le regardait, médusé, n’osant prendre cette main qu’on lui offrait si généreusement. C’est avec ce cri de joie et d’admiration qu’il s’y décida :

— Alors, vrai ?… Vous voulez bien me donner la main ?… Ah ! ben, monsieur le docteur, vous êtes encore plus… plus grand que je pensais !

Zénobie, qui pleurait discrètement à l’écart, tira timidement son époux par la manche et risqua. hésitante :

— Dis donc, Polyte !… Si les enfants voulaient nous pardonner, eux aussi !… Il me semble que ça nous porterait bonheur pour vivre honnêtement…

— Ferme-toi, Zénobie, coupa Polyte. Tu sais ben que c’est trop demander.

— Je vous pardonne ! dit Jean-Paul, tout à sa joie, puis il regarda son ancienne compagne, qui consentit à dire :

— Et moi aussi !

Le couple Dubois (Boireau-Chippard) était radieux et Polyte donna libre cours à son enthousiasme :

— Ah ! que c’est donc beau de voir du bon monde de même !… Tiens, Zénobie, je jure de ne plus jamais sortir de la bonne « track » !

— Moi itou, Polyte.

— Allons, à c’t’heure, faut laisser faire les épanchements de famille !… Arrive, Zénobie !… Au revoir tout le monde, et merci de nous avoir rendus meilleurs !

— Ce n’est pas nous, mes amis, fit René, c’est la Providence !

— C’est Dieu ! ajouta Renouard !

— Bon ! dit Polyte, puisque c’est le bon Dieu qu’a tout arrangé ça, nous le prierons chaque jour pour qu’il vous conserve le bonheur !… Allons, arrive, Zénobie, arrive avant que je braille !

— Braille pas, Polyte, braille pas, pasque je suis à la veille, et pis si je pars, y aura pus rien pour me retenir.

— Requiens-toi, Zénobie et sortons avec dignité… et par le fond. Arrive, Zénobie !

— Voilà, Polyte !

Ainsi s’en fut le couple converti, laissant, comme il l’avait dit, la famille nouvellement réunie, à des épanchements bien naturels.

Greluchette alla gentiment féliciter son ancien compagnon de misère :

— Mon cher Freluquet… mon cher Jean-Paul,