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LE CRIME D’UN PÈRE

mélancoliquement en accompagnant le professeur à l’hôpital. Elle présentait encore un aspect différent en ce lundi de Pâques qu’était le premier avril.

La renaissance de la nature, la sérénité des gens, lavés, blanchis, par l’observance du carême, le brave et bon soleil qui miroitait, semblant dire : « Ayez espoir et confiance, je suis avec vous ! » ; tout cela mettait une note d’attente heureuse dans son âme, comme un pressentiment d’un grand bonheur imminent.

Pourtant il entendit un soupir à ses côtés et vit sa sœur essuyer une larme.

— Ne te laisse pas abattre ainsi, dit-il avec douceur, il faudra bien qu’un jour, nos recherches opiniâtres soient couronnées de succès.

— Hélas ! soupirait Henriette, les jours succèdent aux jours, les mois aux mois, sans me rendre mon enfant, sans lui rendre sa mère, à ce pauvre petit qui, peut-être, souffre et pleure loin de moi, qui, peut-être est mort sans que personne n’adoucit ses derniers moments.

— Dieu récompensera nos efforts, reprenait alors René avec conviction, j’en ai confiance. Et tiens !… Cet homme, que ton mari a sauvé, vient de quitter l’hôpital ! Cet homme, que nous haïssions, c’est pour obéir aux préceptes du Christ, que nous l’avons soigné et guéri. Nous avons fait acte de Charité, conservons la Foi et l’Espérance et Dieu nous viendra en aide !

L’automobile s’arrêtait justement devant la résidence des Renouard et, comme pour confirmer les paroles d’espoir du jeune docteur, le professeur descendait les marches du perron en s’exclamant d’un ton joyeux :

— Bonjour, chère Henriette !… Bonjour, René !… Eh bien, quoi ?… Vous me voyez une figure réjouie et vous ne m’en demandez pas la raison ?

Madame Renouard pâlit affreusement, comme si tout son sang affluait au cœur ; enfin, elle murmura :

— Y aurait-il… du nouveau… ?

— Peut-être…

— Ah ! peut-être… toujours peut-être !… le mot des vains espoirs et des cruelles déceptions !…

— De quoi s’agit-il ? Interrompit René, anxieux.

Pour toute réponse, le professeur lui tendit un carré de papier quadrillé sur lequel il lut tout haut :

— Monsieur,

« Vous m’avez sauvé deux fois !… Votre science m’a conservé la vie et votre générosité a blanchi mon âme. Si vous voulez me recevoir, avec ma femme, ce tantôt, je vous apprendrai une nouvelle qui ramènera le bonheur dans votre foyer ! »

Polyte Dubois, dit Chippard.

Henriette, les yeux hagards, répétait machinalement :

— Le bonheur dans votre foyer… Mais alors ! Pressentant une crise, les deux hommes l’entraînèrent dans la maison. Contre leur attente, il ne se produisit pas d’attaque nerveuse, mais la pauvre femme se mit à réclamer son fils à grands cris, voulant qu’on le lui amenât de suite.

— Calmez-vous, mon amie ! disait Renouard. Comme vous, je suis en proie à la plus douce et plus grande émotion, mais il faut se préparer à la joie comme au malheur, car l’un et l’autre sont également redoutables pour un cœur qui a beaucoup souffert.

— Que te disais-je tout à l’heure ? reprenait René. C’est précisément par le canal de cet homme, objet de notre bonne action, que Dieu nous envoie notre récompense. N’est-ce pas une manifestation évidente de la puissance et de l’infinie bonté de notre Maître ?

— Mais où trouver le courage d’attendre, de patienter ?

Sanglotait la malheureuse mère.

Alors, la voix du professeur Renouard s’éleva, calme et forte :

— Dans la prière ! dit-il, simplement ; puis tandis que tous se signaient il reprit :

— Seigneur ! nous ne craignons plus de déception ! Nous attendons l’âme sereine, l’immense joie que Tu nous réserves, car nous savons que Tu est infiniment bon et miséricordieux et nous avons Foi en Ta puissance !

 

Leur pieux recueillement fut interrompu par l’entrée de Jean qui annonçait :

— Monsieur le docteur, c’est Pauline qui est là !… Elle amène cet homme que vous avez sauvé accompagné de sa femme.

— Qu’ils viennent ! répondit le professeur ; puis allant à sa femme et lui serrant la main, il ajouta :

— Henriette ! Soyez forte ! Soyez prête à tout !

Comme elle le remerciait d’un regard, la porte s’ouvrit, laissant paraître un groupe étrange : un couple d’ouvriers endimanchés, encadré par Jean et Greluchette.

On avait peine à reconnaître Polyte Dubois, dit Chippard, dans ce petit bonhomme replet, aux cheveux bien peignés, à la cravate d’aplomb, aux souliers reluisants, au costume propret. Près de lui, son épouse, Zénobie, était aussi surprenante par son changement de tenue. Mais ce qui était le plus extraordinaire aux yeux de René, de Jean et de Pauline, c’était l’interversion flagrante qui s’était opérée dans ce digne ménage. Polyte marchait d’un pas ferme, faisant crânement craquer ses souliers neufs, regardant franchement autour de lui, sans forfanterie, mais sans crainte. Zénobie, au contraire, restait les yeux baissés, les mains croisées, à deux pas en arrière, avec l’allure d’une épouse humble et soumise.

Le docteur Renouard leur fit un geste de bienvenue, disant à Polyte :

— Approchez, mon ami !

L’homme remercia, fit quelques pas en avant ; puis se retournant, ordonna d’un ton ferme :

— Approche, Zénobie !

Jean et Pauline s’attendaient à voir bondir l’irascible épouse, ainsi interpellée, mais, à leur grande surprise, elle obéit, disant sur un ton d’esclave :

— Voilà Polyte !

Et Polyte parla carrément :

— Docteur, je n’irai pas par quatre chemins. Jusqu’à ces derniers temps, j’étais une fière fri-