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LE CRIME D’UN PÈRE

— Oh ! que vous êtes bonne, madame ! dit Greluchette, levant vers elle ses grands yeux.

— Décidément, elle est belle comme un ange ! murmura René qui ne pouvait détacher ses regards de la jeune fille.

Mais Freluquet protestait :

— Non, non, pas madame : maman. N’est-ce pas que vous voulez bien qu’elle vous appelle : maman, elle aussi ?… Ah ! je ne suis pas jaloux !… D’abord, là-bas, tout ce qu’elle avait, elle le partageait avec moi. C’est juste qu’à présent, je partage ma maman avec elle !… Et puis, elle est autant à elle qu’à moi, cette chère petite maman-là ! »

Madame Renouard se tournait vers Pauline, disant avec une bonté infinie :

— Mais oui, embrassez-moi, mon enfant et dites : Bonjour, maman !

— Bonjour, ma… ma… maman !

Chose curieuse ; malgré sa reconnaissance et sa joie, Pauline hésitait à donner ce nom de « maman » ; c’est qu’elle avait, de sa première enfance, le souvenir d’un autre visage penché sur son berceau ; elle savait bien que sa maman, à elle, avait toussé beaucoup et puis était partie l’attendre au ciel.

Freluquet en fit la remarque :

— C’est drôle, fit-il, moi, je l’ai dit sans hésiter, comme si ça m’était sorti du cœur.

— Mon petit Jean !

S’exclama Henriette avec une tendresse toute maternelle. Et elle eût la notion précise que c’était par pure gentillesse qu’elle ajoutait :

— Ma petite Pauline !

La jeune fille, tout de même, était émue et balbutia :

— Oh ! merci, madame… merci, maman !… Vous êtes bien bonne ! Et Freluquet est bien gentil d’avoir pensé à moi !…

— Mais, répartit l’enfant, embarrassé, c’est que… c’est pas moi qui y ai pensé le premier, c’est Monsieur d’Anjou.

— Vous ?… Ah ! que je suis contente !

Et, d’un élan spontané, elle alla à René pour l’embrasser, mais leurs regards se rencontrant, ils les détournèrent, gênés et rougissants et, gauchement, échangèrent une poignée de main.

René, pour dissiper le trouble qui l’envahissait, demanda à Henriette :

— Et maintenant, puis-je aller chercher ton mari ?

— Soit !

— Justement, dit Greluchette, après la sortie de René, je venais prévenir le docteur qu’un nouveau patient est entré à l’hôpital et que l’avis de tout le monde est que lui seul peut le sauver !

Freluquet, dont le bon cœur était toujours en éveil, s’approcha de Madame Renouard et lui murmura à l’oreille :

— Lui pardonnerez-vous, maman… à notre papa ?… Lui aussi, il a beaucoup souffert.

Renouard entrait. Henriette fut frappée des changements que quelques jours avaient opérés, en lui. Son visage était cireux, ses traits tirés, ses yeux rougis et son dos se voûtait. Elle éprouva de la pitié et comme il la remerciait d’avoir consenti à le recevoir, elle répondit avec douceur :

« Étienne ! Je vivrai sous votre toit pour que nous poursuivions ensemble la tâche de notre vie : retrouver notre fils.

— Et vous me pardonnez ? demanda-t-il avec angoisse.

Malgré la tendresse humble et douloureuse de cette question, Henriette fut inflexible :

— Je vous pardonnerai, dit-elle, quand vous m’aurez rendu Jean-Paul !… En attendant, j’adopte ces enfants !… Voici Jean et voici Pauline… Mes enfants, allez embrasser votre père adoptif.

Le professeur, ému, heureux de ce lien nouveau entre lui et celle dont il aurait tant souhaité se rapprocher entièrement, ouvrit ses bras aux petits déshérités et, les assurant de sa tendresse, les pria d’intercéder en sa faveur auprès de leur mère ; mais Henriette intervint, disant d’un ton ferme :

Étienne, ne me demandez pas une chose au-dessus de mes forces. Si ma présence dans cette maison adoucit votre détresse, vous trouverez en moi une compagne douce et paisible, mais, je vous le dis solennellement, je ne vous pardonnerai qu’en présence de notre fils !

— Et moi, répartit Renouard, je vous jure que, jusqu’à mon dernier souffle ; je n’aurai qu’un seul but, qu’une seule pensée, vous rendre votre enfant !

Un silence gêné suivit ces deux déclarations solennelles et Greluchette en profita pour remplir la mission qui l’avait amenée :

— Monsieur le docteur, dit-elle à Renouard, oubliant déjà de lui donner le titre de père, je suis venue vous prévenir qu’on vient de conduire à l’hôpital un homme gravement atteint d’un coup de couteau affectant l’enveloppe du cœur !… On dit que vous seul pourriez le sauver et…

— C’est bon, coupa Renouard sans hésiter, j’y vais !

Ce vieillard malade, que la moindre fatigue pouvait tuer, avait dit cela avec une telle simplicité qu’Henriette se sentit remuée, retrouvant le grand homme de devoir qu’elle avait aimé jadis et c’est d’un élan spontané qu’elle s’écria :

— Mais c’est impossible, Étienne, ce serait une grave imprudence !

Puis, elle baissa les yeux, toute rougissante, comprenant que l’amour conjugal, si longtemps banni de son cœur, venait d’en retrouver le chemin.

Le professeur la regarda longuement et d’une voix grave et posée, révélant une émotion contenue à grand peine, dit tendrement :

— Merci, mon amie, pour cette bonne parole, qui me fait un bien immense, mais le devoir m’appelle et je dois lui obéir.

Puis, se tournant vers son jeune collègue :

— Vous viendrez aussi, René, car si mes forces me trahissent, vous êtes le seul en qui j’aurai confiance pour terminer l’opération.

D’Anjou acquiesça d’un geste. Greluchette intervint.

— Et comme infirmiers, docteur, voulez-vous choisir Jean et moi ?… car cet homme, c’est…

— Qui donc ?

— Celui qui nous a martyrisés !

— Quoi ? ce misérable, je n’y vais pas ! s’exclama René avec colère.