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LE CRIME D’UN PÈRE

Ce gaillard s’est guéri tout seul !… Il a suffi de le soustraire à l’empoisonnement qui le minait et de lui donner quelques fortifiants pour en faire le beau jeune homme que voici. Eh bien ! es-tu content, Freluquet ?

— Oh ! oui, monsieur. Tout le monde est si bon pour moi ici.

— Allons, c’est parfait. Maintenant laisse-nous, mon garçon, nous avons à causer.

Après la sortie de l’enfant, René ne put s’empêcher d’exprimer — pour la centième fois peut-être — sa gratitude :

— Comment vous remercier de ce que vous faites pour ce jeune garçon et pour… — il hésita légèrement — pour sa petite compagne ?

— Je suis heureux de pouvoir le faire, répliqua le docteur dont l’enjouement affecté s’évanouit brusquement. Voyez-vous, René, ces enfants ont à peu près l’âge qu’aurait mon pauvre petit Jean-Paul, dont j’ai causé la perdition !… Ce sont, comme lui, des malheureux qui paient pour le crime d’un autre, d’un père négligent, d’une mère dénaturée ou d’un mari sévère et injuste.

René évita de relever ces dernières paroles par lesquelles le vieillard se flétrissait soi-même ; cependant, par association d’idée, une question lui vint :

— Toujours pas de nouvelles ?

— Hélas !…

— Mais cette piste signalée à Vancouver.

— Fausse !… Voici la lettre de l’agence.

Renouard était tombé, repris par son accablement, sur le divan profond ; René vint à lui et c’est avec une profonde pitié qu’oubliant sa propre peine, il murmura :

— Mon pauvre ami !

— Votre conduite envers moi est admirable, mon enfant, ne peut s’empêcher de dire le professeur, ému aux larmes. Vous me plaignez, vous, qui auriez pu joindre votre malédiction à celle de votre sœur !

— J’avoue que mon premier mouvement à votre égard a été de violente colère, d’indignation. En apprenant que mon patron n’était qu’évanoui et m’exonérait de tout blâme, en apprenant aussi le terrible drame qui avait suivi mon départ de cette pièce, j’eus un moment la pensée de venger ma sœur et son malheureux fils.

— Mais votre visage était si douloureux, votre désespoir si profond, que ma colère est tombée devant votre détresse.

— Et, noblement, vous m’avez offert de joindre vos efforts aux miens pour retrouver l’innocente créature et lui faire m’accorder son pardon.

— Alors, vous m’avez pris sous votre protection, vous m’avez enseigné votre art et, grâce à vous, je suis aujourd’hui un des chirurgiens les plus en vogue parmi les jeunes.

— Vous êtes trop modeste, mon cher collègue, vous êtes un maître ; demain, vous serez, malgré votre jeunesse, notre maître à tous, mais ce n’est pas grâce à moi, René, c’est grâce à votre mérite !… Il eût été vraiment regrettable qu’un talent comme le vôtre ignorât sa vocation.

— Hélas ! tout ce beau talent, que vous me concédez, ne nous aide pas à retrouver notre pauvre Henriette !

— À présent, le seul qui puisse nous y aider, c’est Dieu !…

— Et je le lui demande chaque jour.

— Moi aussi !… Ah ! puisse-t-il me pardonner et entendre nos prières !

Et les deux hommes restèrent un instant silencieux, recueillis dans la pensée du Seigneur.

Ce fut un ange — terrestre il est vrai — qui se présenta.

En effet, Freluquet venait annoncer Greluchette.

— Qu’elle entre ! s’écria Renouard, tâchant de chasser de son front les soucis.

— Greluchette !

Répéta machinalement René, avec émotion.

— Eh oui, mon cher. Greluchette, la plus charmante de mes infirmières !… Entre, jeune printemps ! Venez réchauffer du soleil de votre sourire un sombre hiver en tête-à-tête avec un triste automne !

Greluchette avançait timidement, saluant le « sombre hiver » avec respect. En apercevant « l’automne », elle ne put réprimer un mouvement de joie.

— Bonjour, ma petite Greluchette ! dit René d’un ton qu’il s’efforçait de rendre paternel, mais dont il ne pouvait bannir une pointe de tendre émotion.

— Qu’y a-t-il, ma chère enfant ? s’informait le maître.

— Une pauvre femme, entrée à l’hôpital ce matin, après votre visite. Elle a été trouvée au « bord de l’eau », mourant de faim et de froid. Elle semble être dans la plus grande misère. Cependant, elle s’est rapidement rétablie au point de vue physique, mais ses propos sont décousus et… enfin, je l’ai amenée !

— Mais c’est une imprudence, mon enfant.

— Excusez-moi, Monsieur le Docteur, mais l’interne de jour a dit qu’il n’y avait aucun danger et j’ai cru qu’il était urgent de vous la montrer.

— Enfin, puisqu’elle est ici !… Nous allons la voir.

— Monsieur le Docteur, si vous vouliez bien, ainsi que Monsieur… d’Anjou, ne pas lui parler, je pourrais lui faire répéter certaines choses qu’elles m’a dites et qui, peut-être, vous intéresseraient.

— Ciel ! s’écria Renouard, voulez-vous dire qu’elle saurait quelque chose de…

— Je… je le crois !

— Seigneur ! murmura-t-il avec ferveur. Est-il possible que Tu manifestes ainsi Ta puissance juste à l’instant où nous t’invoquions ?… Vite, Greluchette, conduisez ici cette femme.

— Mais…

— Je vous promets de demeurer muet ! et tandis que la jeune fille sortait, il pria :

« Mon Dieu ! Donnez-moi la force de supporter une pareille épreuve ! »

Tandis que René répétait :

« Merci, merci, Seigneur, d’avoir entendu notre vibrant appel ! »

Mais Greluchette et Freluquet entraient, soutenant une miséreuse. Quel âge pouvait avoir cette femme ?… Peut-être quarante ans, peut-être beaucoup plus. Elle avait dû être fort jolie, et, malgré ses yeux hagards, ses cheveux blancs en désordre, ses traits ravagés et ses vêtements