Page:Nel - Le crime d'un père, 1930.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
LE CRIME D’UN PÈRE

pas et tu comprends ma révolte sous un pareil affront !… J’ai répondu un peu vertement peut-être… Monsieur Atkins est entré dans une fureur folle ! Il était, tu ne l’ignores pas, excessivement violent ! Il m’a saisi au collet et m’aurait certainement étranglé, si je ne lui avais fait lâcher prise d’un coup de poing !… Alors, il s’est jeté sur moi avec l’intention évidente de me tuer !… J’ai frappé de toutes mes forces. Il est tombé lourdement, s’ouvrant le crâne contre l’angle d’un meuble !… Tandis que je le regardais, baignant dans son sang, les traits tirés, la face blême, il m’a crié ce mot :

« Assassin ! »

Et il est retombé mort !…

René fit une pause, revivant l’horrible scène, tandis qu’Henriette répétait machinalement :

« Mon Dieu ! Mon Dieu !… »

Le jeune homme reprit :

— On venait !… J’ai dû fuir !… Je ne puis songer à me livrer à la justice : personne ne croira mon histoire ; c’est la cour d’assise, le bagne ou peut-être… pire.

— Non, non, il faut fuir, René, je ne veux pas qu’ils te prennent !… Attends-moi là-bas !

Et tandis, qu’accablé, le malheureux s’effondrait en pleurant dans un fauteuil, la jeune femme, ayant vite pris la résolution de se sacrifier pour sauver son frère, alla dans sa chambre, prendre dans le secrétaire son argent et ses bijoux.

Pendant ce temps, la porte du salon s’était entr’ouverte, livrant passage à la face grimaçante de l’ivrognesse qui, avant de disparaitre, se fit cette réflexion :

— Tiens !… les amours sont « pus comme y sontaient !… Watchons ça ! »

Henriette était de retour :

— Tu trouveras dans ce portefeuille, dit-elle, une somme suffisante pour t’éloigner !… Voici également mes bijoux, mais ne les vends qu’avec prudence !

— Non, non, garde tes bijoux, protesta René. Je ne veux pas te dépouiller ainsi.

— Prends, je le veux ! Ta vie est plus précieuse que ces choses inutiles !… Et maintenant, va-t-en !… Mon mari peut revenir !…

— Avant de partir, puis-je embrasser le petit Jean-Paul ?…

— Oui, viens vite !

Et elle l’entraina vers la chambre où reposait son enfant.

Aussitôt réapparut le museau de fouine de Zénobie, accompagnée cette fois de la trogne imbécile de son compagnon :

— Voilà qui devient intéressant, jugea-t-elle.

— Passionnant ! renchérit Polyte.

— Renversant ! conclut le professeur Renouard, survenant derrière eux, et allongeant un coup de pied magistral, dans la partie la plus charnue du serviteur modèle. Il ajouta :

— Ah ! ça, vous écoutez aux portes, il me semble !

— Non, non, monsieur, nous époussetions !

— Vraiment ?… Vous époussetiez… les trous de serrure !… Comment, il n’y a personne ici ; mais alors…

Zénobie, ayant la langue quelque peu pâteuse, ne pouvait se risquer dans de longues phrases ; mais elle sut se faire comprendre par un seul mot, accompagné d’un geste expressif :

— Envolés !… Pfft !…

— Comment ? interrogea le docteur, ahuri.

— Évaporés !… Pfft !… expliqua Polyte à son tour.

— De qui parlez-vous donc ?…

— Mais de Madame et du gigolo !

— Ah ! ça me direz-vous ? s’écria le professeur avec rage.

— Ça dépend !… ça vaut bien vingt piastres pour savoir… insinua Zénobie.

— Mais quoi ?…

— Et encore, trente piastres, c’est bon marché !

— Allons, cessez cette plaisanterie… et parlez !

— Pas avant d’avoir les quarante piastres !

— Allons, prenez et soyez brefs, ou je vous casse les reins.

— Hé ! Hé ! que Monsieur se calme ; les émotions, ça m’empêche de parler !…

— Allons ! vous êtes payés, parlez !

— Eh bien ! monsieur, nous venons d’assister à la plus jolie scène d’amour entre un beau petit jeune homme et Madame !

— Misérables !

— Ah ! si vous vous fâchez, on ne parle plus, n’est-ce pas, Polyte ?…

— Dame !… on peut pas parler tous à la fois !

Le docteur Renouard avait peine à dissimuler la violente émotion qui lui étreignait le cœur ; il n’avait jusqu’à ce jour jamais douté de la fidélité de sa femme, mais en lui, on venait de faire naître le soupçon et, germant avec rapidité, cette graine parasite faisait des ravages foudroyants parmi ses bons sentiments. Ce fut d’un ton plein de menace qu’il lança cet ordre :

— Allons ! dites tout ce que vous savez, et vite !

— Eh bien ! le petit jeune homme est venu faire une scène à Madame ; alors, pour le calmer, Madame lui a donné son argent et ses bijoux !

— Vous mentez !  !  !

— C’est bon !… Si on nous prend pour des menteurs, on ne dira plus rien !

— Parlez ! ou sinon… !

— Ah ! Monsieur a de nouveau foi en notre parole ?… Eh bien ! avant de partir, le jeune homme a demandé à embrasser son petit Jean-Paul !…

Le professeur, blessé à son point le plus sensible, son amour, son orgueil paternels, blêmit de colère et perdit le contrôle de son raisonnement ; prenant l’odieuse calomnie pour un fait authentique, il s’exclama avec violence :

— Les misérables !… les misérables !… Je les tuerai tous deux !… Oh ! oui, je les tuerai !

À ce moment, Henriette parut, attirée par la véhémence de ces exclamations ; elle aperçut son mari, les traits tendus, le visage blanc comme un suaire, le regard fiévreux, gesticulant et criant :

— Je les tuerai tous deux !… Oh ! oui, je les tuerai !

Elle fut prise de terreur et, sans réfléchir, s’élança vers la pièce où se trouvait René, lui cria de fuir par le balcon et ferma la porte à clef. Son mari s’était précipité sur ses traces et une lutte sauvage s’engagea pour la possession de la clef ; bientôt l’homme triompha avec un cri de