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LA FLAMME QUI VACILLE

pressa la gentille menotte avec reconnaissance et s’écria gaiement :

— Mes amis, dans quelques minutes, nous fermerons le bureau et puisque nous voilà réunis, je vous invite au meilleur restaurant de la ville. Dans un dîner soigné, nous fêterons une très bonne nouvelle… que je viens d’apprendre.

Tous applaudirent et Mélanie entonnait comiquement :

« For he is a jolly good fellow, » quand, soudain elle songea à son mari :

— Mon doux ! Polyte que j’oubliais !

— Téléphonez-lui de venir nous retrouver, offrit Julien.

Elle accepta de bon cœur !

— Ah ! bien ! c’est pas de refus ! Ça l’aidera à supporter son deuil !


X

LES PEUPLES HEUREUX N’ONT PAS D’HISTOIRE



St-Boniface, le 20 mai 1930.


Chère Madame et Amie,

C’est votre petit professeur de sténo-dactylo qui profite de quelques instants de loisir pour se rappeler à votre bon souvenir.

Le soir, quand le magasin est fermé, nous parlons souvent, papa, Paul et moi de nos amis de Montréal qu’il nous ferait tant plaisir de revoir. Ne viendrez-vous jamais nous causer l’heureuse surprise de votre visite ? Je sais que Monsieur Merville est très pris par ses affaires et que vous devez être, vous, bien esclave de votre petit tyran, qui n’a qu’un mois de plus que Cécile, votre filleule.

Me croirez-vous si je vous dis qu’elle vous fait honneur ? Elle est superbe et pleine de santé. J’espère que votre bébé est également bien portant ; je serais heureuse d’avoir de ses nouvelles et, si vous vouliez me faire grand plaisir, son portrait. Nous avons fait photographier notre petite femme et j’en joins un exemplaire à ma lettre. Vous verrez que je ne l’ai pas vantée.

Notre commerce est florissant. Paul est très actif et très ingénieux ; entre ses mains, toute entreprise semble devoir réussir. Nous espérons beaucoup de l’avenir, en ce qui concerne la fortune, mais pour ce qui est du bonheur, nous ne pouvons souhaiter mieux que dans le présent.

Mon père, malgré ses douleurs, supporte gaillardement sa vieillesse. On dirait même qu’il rajeunit au spectacle de notre bonheur. Mais sa grande joie, à lui, c’est d’avoir une petite fille ; je suis certaine qu’il l’aime plus qu’il aime sa propre enfant. Et elle le lui rend bien, la petite mâtine : ses plus beaux sourires, ses plus doux regards, ses plus tendres câlineries sont pour son grand papa.

Recevez, ainsi que Monsieur Merville, l’assurance de notre sincère amitié à tous et surtout, donnez un gros bec, de ma part, à votre petit Hubert.

Votre amie profondément dévouée,
Simone Lepage.
***


Rimouski, le 1er juin 1930.


Chère petite amie,

Votre lettre est venue me rejoindre chez Madame Merville, la maman de Julien, qui habite ici en compagnie de sa sœur Hubertine, la doyenne de la famille. Les deux excellentes dames réclamaient à grands cris, l’une son petit-fils, l’autre son filleul, si bien que nous avons mis la clef sous la porte et, en deux petites journées d’automobile, nous sommes venus les surprendre.

Je n’essayerai pas de vous décrire l’accueil qu’elles nous ont fait. Des larmes montent à mes yeux au souvenir de leur joie. Les pauvres vieilles dames étaient dans un tel état qu’un moment, nous avons craint une double syncope et que nous nous sommes reprochés in petto de ne pas les avoir averties.

Croirez-vous qu’elles s’occupent à peine de leur Julien et de sa femme. Mais le petit, impossible de les en séparer ! Et il arrive cette chose drôle et touchante, que les deux sœurs, qui vivaient en parfaite harmonie avant notre arrivée, sont maintenant devenues des rivales. Elles se jalousent et se chicanent à cœur de jour — oh ! très gentiment, bien entendu, en douairières charmantes et bien élevées qu’elles sont. Le plus embarrassant est qu’elles me prennent à témoin :

— Cécile, tu ne trouves pas que ce serait mon tour de la prendre ? C’est moi qui suis sa grand’mère après tout. Dis-lui de me le donner !

— Cécile, fais lui donc comprendre que je peux bien le garder cinq minutes. Je suis sa marraine. Il porte mon nom !

Et je suis prise entre elles deux et suis bien embarrassée de rendre jugement, ne pouvant m’en tirer à la manière de Salomon.

En réalité, c’est moi qui dois me sacrifier, car je les vois si heureuses avec le petit, que je n’ai pas le cœur de le leur ravir.

Merci mille fois pour la photographie de ma petite filleule que je vous charge d’embrasser bien fort pour sa marraine. Vous trouverez ici le portrait d’Hubert, ce qui me dispense de la joie de vous le décrire.

Quant à Julien, il est parfait. Depuis que le malentendu est dissipé, aucun nuage n’est venu ternir notre amour. Notre lune de miel n’était qu’interrompue ; nous l’avons reprise avec une tendresse aussi grande qu’au premier jour.

C’est à vous que je dois ce bonheur, chère petite amie, et je vous bénis, en priant Dieu de veiller sur le vôtre.

Mon mari m’a bien recommandé d’exprimer sa cordiale amitié à son vieux camarade et à notre chère petite Simone que j’embrasse moi, très tendrement.

Cécile Merville.
FIN