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LA FLAMME QUI VACILLE

IX

LA NOUVELLE SECRÉTAIRE


— Voilà !… Est-ce bien ?

— La frappe est parfaitement égale et nette, la disposition impeccable. Vous êtes mûre pour me remplacer.

Cécile frappa des mains, avec une joie enfantine, tandis que Simone, son petit professeur, ayant relu la copie, appréciait :

— Il n’y a aucune erreur, c’est parfait !

Cette scène se passait dans le bureau de Monsieur Merville, deux mois après la soirée dramatique qui avait ranimé l’amour assoupi.

Depuis un mois, Cécile avait consacré toutes les matinées, tandis que son mari était à la bourse, à l’étude des travaux du bureau. Instruite et intelligente, adroitement dirigée par la jeune femme, qui achevait son premier mois de vie conjugale, elle avait fait de rapides progrès et pouvait, dès maintenant, être une secrétaire très convenable.

Simone, ignorant la rancune, avait eu cette généreuse idée : Puisqu’elle serait bientôt obligée de quitter son patron, puisque Madame Merville rêvait de redevenir l’associée de son mari et se plaignait de son oisiveté, n’était-elle pas la remplaçante rêvée ? Elle fit part de ses réflexions à Madame Merville qui accepta avec enthousiasme ; toutefois, pour éviter que Julien ne s’opposât à la réalisation de ce projet, les jeunes femmes, devenues amies, complotèrent de faire l’apprentissage en cachette pour, le jour venu, mettre l’importateur en présence du fait accompli.

Cependant, Cécile craignait que les affaires de son mari pâtissent de son inexpérience, mais Simone la rassurait.

— Vous lui donnerez entièrement satisfaction.

— Sauf pour la sténographie ?

— Oh ! vous êtes encore un peu lente, peut-être, mais, pendant quelques temps, vous jouirez certainement de toute l’indulgence de… votre patron.

— C’est en effet fort probable. Savez-vous bien, chère petite amie, que vous avez été la bonne fée de notre ménage ? Depuis la scène ridicule que je vous ai faite un soir…

— Oh ! madame…

— …le bonheur a repris place à notre foyer. J’ai compris que je n’avais peut-être pas toujours été assez prévenante, fait assez de concessions, montré suffisamment d’égards envers mon mari, enfin, que les torts étaient le plus souvent de mon côté. Lui-même, depuis ce jour, se montre aimable, tendre et charmant pour moi. En un mot, grâce à votre heureuse intervention, nous traversons une seconde lune de miel, plus belle, plus resplendissante que l’ancienne !

Simone était certes plus touchée qu’elle ne voulait le laisser voir. Ce mot de « lune de miel » évoquait en elle un monde magique de rêve qu’elle ne connaissait pas. Elle avait trouvé le bonheur d’une affection solide et loyale, mais elle ignorait les ineffables joies dont parlent les romans d’amour et que Cécile, elle, avait pleinement goûtées ! Pour cacher son regret, elle plaisanta :

— Je vous souhaite de tout cœur que cette nouvelle lune ne connaisse jamais d’éclipse !

Le ton de gaieté sonnait faux et Cécile, trop intuitive pour ne pas le sentir, interrogea avec un sincère intérêt :

— Et vous, petite amie, êtes-vous heureuse ?

Simone répondit d’une voix calme et ferme, mais qui manquait d’élan :

— Mai oui ! Comment ne le serais-je pas ? Mon mari est très bon, travailleur et rangé, sobre et affectueux. Que pourrais-je demander de plus ?… Oh ! sans doute, son instruction, et même peut-être son éducation laissent un peu à désirer, mais sa modestie et son bon vouloir lui permettront de se perfectionner.

Cécile, déconcertée de voir tant de sagesse, elle, qui avait vibré passionnément, et connu la flamme ardente d’un amour idéal, ne put s’empêcher de dire :

— Déjà des restrictions ? Ma pauvre enfant ? Vous n’êtes pas parfaitement heureuse !

Simone répondit avec une inébranlable conviction :

— Je le serai. Mon mari est un brave homme, que j’aime et qui m’aime. C’est une nature simple et droite, sérieuse et positive, qui ne changera pas, si ce n’est pour s’améliorer. Je tâcherai de ne pas être en reste avec lui et, nous faisant tous deux des concessions mutuelles, nous avancerons chaque jour vers un bonheur plus parfait, plus complet.

Bien que son âme romanesque se révoltât devant ce renoncement, le cœur noble de Cécile ne pouvait s’empêcher de l’admirer, s’extériorisant en ces termes, elle ajouta :

— Vous avez raison d’avoir foi en l’avenir, ma chère petite Simone. Dieu vous donnera… ce que vous méritez !

— Oui, j’ai confiance en lui. Déjà, il m’a envoyé l’avertissement d’un autre bonheur auquel il n’y a de limites que les bornes de notre propre cœur !

— Vraiment ? Vous aussi ?

Les deux femmes se regardèrent avec émotion, après cette confidence intime qu’elles étaient encore seules à connaître. Puis, elles restèrent silencieuses, le regard ennobli d’une tendresse déjà maternelle et souriant, dans leur rêve, à cet autre bonheur, que toutes deux avaient le droit d’espérer.

Elle furent ramenées sur terre pour l’arrivée de Mélanie, qui salua Cécile sans surprise, ce qui inquiéta celle-ci. Simone la rassura :

— Pardonnez-moi, Madame. Mélanie est mon amie intime, ma confidente et je n’ai rien pu lui cacher ; j’étais si heureuse de notre idée.

— C’est vous seule, chère petite, qui l’avez imaginée.

— Ça m’étonne pas d’elle, intervint Mélanie ! Elle en a toujours des idées comme ça !… En tous cas inquiétez-vous pas pour moi, je suis le tombereau, pardon, le tombeau des secrets.

— Merci. J’avais si peur que Julien sache ! Et comment vous trouvez-vous de la vie conjugale, Mademoiselle Mélanie ?

— Oh ! je la conjuge « all bean ! » Mon vieux est bien fin pour moi et moi pour lui. Puis, je