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LA FLAMME QUI VACILLE

attaché à papa et à moi. Enfin, je ne sais comment t’expliquer, mais quand je le quitterai, il aura beaucoup de peine.

— Eh ! eh ! fit Paul, mi-sérieux, mi-badin, je vais en être jaloux, moi.

— Oh ! Paul !

— Rassure-toi, je plaisantais. Je sais à qui j’ai affaire. Pourtant il devrait être heureux, ton patron, il est riche ?

— Oui, mais son ménage ne va pas très bien.

— Ah ! ces femmes du monde ! Peuh !

— Alors, si tu n’y vois pas d’inconvénient…

— Écoute donc ! Quant à moi… évidemment, j’aurais été bien content de travailler pour nous deux, de te « garder » quoi ! Mais si tu penses que tu ne dois pas quitter ton « boss » dans le moment… c’est toi qui sais ça, pas vrai ?… Et puis, on pourra ménager un peu plus et s’établir un peu plus vite.

— Nous établir ?

— Oui. Depuis que je te « courtise » que je « jongle » à ça ? C’est, comme qui dirait, mon rêve. Un petit magasin qu’on tiendrait tous les deux, travaillant ensemble, comme de vrais partenaires. Et puis, en arrière du magasin, un beau petit logement pour veiller, le soir. Et puis, le petit magasin grandira… grandira ! Alors, là, je prendrai des employés et, fini pour toi, le travail : tu seras une belle madame aux mains blanches… qui ne pourra s’occuper qu’à deux choses : faire du mal… ou en inventer !…

— Non, mon Paul, toute notre vie, nous travaillerons la main dans la main, car l’oisiveté de la femme, c’est le commencement de la peine du mari.

— Ah ! oui, comme pour ton « boss ». Ça a bien du bon sens ce que tu dis là. En tous cas, d’ici à ce qu’on soit riche, y aura peut-être bien du nouveau. Mon associée sera peut-être devenue une bonne petite maman.

— Paul !

Depuis un moment, Rosaire écoutait en silence la causerie des jeunes gens. Il profita de l’interruption pour prendre la parole :

— Mes chers enfants, ça me fait plaisir de voir que vous comprenez la vie comme elle doit l’être. Vous deux, au moins, vous raisonnez et parlez comme du monde. Alors, c’est dit : en attendant… qu’il arrive du nouveau, vous travaillerez ensemble. Et puis, vous ne savez pas ? Pendant que vous gagnerez les « bidoux » tous les deux, eh bien ! moi, je vous ferai la popote. Vous aurez bien une petite place pour le bonhomme ?

— Ça s’adonne ! affirma le jeune homme cordialement. Mais vous quitterez donc votre emploi chez Monsieur Merville ?

— Oh ! oui… moi, dans les bureaux, je ne suis pas bien à mon affaire.

— Et comme Simone voulait protester, il persista :

— Oui, oui, je le sais !

Puis, à lui-même, entre ses dents :

— On ne me l’a pas envoyé dire !

On frappait de nouveau. Simone alla ouvrir à Mélanie qui, suivant son habitude, fit une entrée agitée et bruyante :

— Bonsoir tout le monde et la compagnie ! Laisse faire, Simone. Je suis capable d’aller me « déganter » toute seule. Je connais la maison !

Tandis qu’elle portait son manteau et son chapeau sur un lit, Simone s’exclamait :

— Mon Dieu ! ma vaisselle que j’ai oubliée ! Mon eau va être froide.

— Passe moi un tablier, cria de loin Mélanie, je vais l’essuyer !

Et, pendant que les deux jeunes filles s’affairaient et que les hommes fumaient, la conversation générale reprit, sous la conduite de Mélanie, qui n’avait jamais la langue dans sa poche :

— Et votre mariage ? Toujours pour dans un mois ?

— Oui, Mélanie. Et le tien, samedi prochain ?

— Oui, dans sept jours et six nuits exactement, à sept heures du matin, je me mettrai la corde au cou. Ceux qui auront le courage de se lever seront les bienvenus !

— Tu as une jolie robe. Tu étrennes, je crois !

— Oui, ma chère, le samedi de Pâques. C’est un « scheme » pour recevoir un cadeau…


VIII

LA CRISE BIENFAISANTE


Aussitôt la vaisselle rangée et le tapis de table placé sur la toile cirée, Mélanie proposa une petite partie de « casino. »

On allait s’installer quand survint un nouveau visiteur : Monsieur Merville.

Quoiqu’un peu surpris de le voir venir, après les événements de l’après-midi, Rosaire salua d’un air hospitalier :

— Bonsoir, Monsieur Merville. Venez vous asseoir.

Julien semblait ému et gêné :

— Merci, Sarment, dit-il, je suis venu encore ce soir… pour te remettre ta paye, et puis… parce que je m’ennuyais terriblement, enfin parce que… je sais qu’on t’a fait de la peine. Et ça n’est pas juste.

— Oh ! c’est oublié, fit le brave homme, en prenant la main que lui tendait Julien. Le mal qu’on a pu me faire, je l’ai pardonné, pour l’amour de vous, qui êtes si bon.

— Merci. Tu reviendras lundi, ou plutôt mardi, après le lundi de Pâques, hein ?

— Oh ! pour ça, non, Monsieur Merville. Malgré qu’on m’a dit des choses… qu’étaient pas vraies, on m’en a dit… qu’avaient bien du bon sens, assez que j’aurais dû les deviner moi-même. Mais que voulez-vous ? L’orgueil ! Le satané orgueil ! C’est dur de se rendre compte qu’on n’est plus bon à rien. Ah ! si c’était dans le bâtiment !… Mais dans les bureaux…

Julien allait protester lorsqu’un pas nerveux et rapide retentit dans l’escalier, puis on frappa sèchement. Rosaire échangea un regard avec Julien et Simone ; tous trois, venaient d’avoir la même pensée. Un peu pâle, mais décidé, Rosaire alla ouvrir.

Cécile fit brusquement irruption et lança un