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LA FLAMME QUI VACILLE

canadiens, que ceux qui reçoivent estiment qu’ils ont la meilleure part et sont sincères en exprimant leur reconnaissance aux visiteurs, même lorsqu’ils sont des étrangers.

Par son mari qu’elle adorait et par ces braves gens qui étaient devenus ses véritables parents, Cécile aimât les Canadiens et leur rude, mais beau pays.

L’aisance vint rapidement et l’apothéose de leur amour fut un pèlerinage en Europe, aux lieux où ils s’étaient connus, où il avait combattu, où il avait souffert dans la captivité.

Hélas ! — Après l’apothéose, le déclin… Les deuils d’abord. Le père de Julien, qui faisait peut-être un peu trop bonne chère pour son âge, mourut presque subitement.

Ce soir-là s’était passé gaiement, comme beaucoup d’autres et s’était terminé vers onze heures par la dégustation d’une excellente tarte à la farlouche, arrosée d’une bonne tasse de café et, pour les hommes, d’un petit verre de cognac.

Julien et Cécile avaient regagné ce qu’ils appelaient leur nid d’amour, un nid somptueux, très belle villa du boulevard Sainte-Catherine.

Ils allaient se coucher quand le téléphone résonna. Surpris, Julien s’y précipita. Sa pauvre mère, atterrée, mais contenant sa voix pour ne pas effrayer le malade, disait avec angoisse :

— Viens tout de suite, mon petit Julien, le père est très mal.

— Appelez un médecin. J’y vais immédiatement, répondit Julien, très alarmé.

Cécile s’habilla en un tournemain et, lorsque Julien sortit l’auto du garage, il l’aperçut, déjà prête, sur le perron.

Elle s’assit près de lui. Il était très ému et fut touché de la tendre prévenance de la jeune femme envers ses beaux-parents.

— Je te remercie, ma chérie, murmura-t-il dans un chaste baiser.

— De quoi ? répondit-elle avec simplicité, d’être à mon poste ? Tu connais mon mot d’ordre : Partager tes peines et tes joies.

Et, tandis que la voiture démarrait, elle tenta gentiment de lui redonner espoir.

En arrivant, ils trouvèrent la maman en larmes. Julien interrogea, plein d’anxiété :

— Le docteur est venu ?

— Il m’a dit d’appeler le prêtre. Il est là ! D’un geste las, elle montra la chambre qu’elle avait dû quitter pour laisser son homme en présence de Dieu ; puis, elle reprit son chapelet.

Respectant son silence, les jeunes s’agenouillèrent devant le crucifix et prièrent. Quand le prêtre parut, il contempla une seconde le pieux spectacle avec attendrissement et c’est bien à regret qu’il dût l’interrompre, disant :

— Le voici en règle avec Dieu. Allez près de lui. Résignez-vous et ayez confiance en notre Maître !

Calme malgré ses souffrances, le père Merville reçut le dernier baiser de sa « vieille » et garda réunies dans sa main, celles de ses enfants.

Bientôt, l’étreinte se détendit. Une angoisse suprême passa dans son regard. Il murmura :

— Mon Dieu !

Ce qui fut son dernier souffle.

Le chagrin des nuits de veille, les funèbres cérémonies, souvenirs cruels et précis, mirent une infinie tristesse dans la rêverie de Julien Merville.

Et puis le départ de sa mère pour sa ville natale, Rimouski, où elle allait retrouver une sœur, veuve comme elle, malgré les instances de Julien et de Cécile qui eussent voulu la garder à leur foyer. Certes, c’eût été pour elle un grand bonheur dans sa détresse, mais elle comprit très bien que sa vieillesse et son chagrin mettraient une ombre dans ce jeune foyer où régnait l’amour. Elle connaissait aussi trop d’exemples, où la douceur d’un foyer avait été brisée par l’intrusion de la belle-mère.

Exprimant toute sa reconnaissance d’avoir été invitée, elle ne fléchit ni devant l’insistance de ses enfants, ni devant son propre désir. Elle partit, près de sa sœur, vieillir dans le souvenir et attendre l’heure d’aller retrouver son « vieux. »

L’argent ne fait pas le bonheur !

Une fois de plus le proverbe, si contesté par les pauvres, trouvait une confirmation éclatante dans le ménage Merville.

Peu à peu, sentant à sa disposition des crédits qu’elle pensait illimités, la petite bretonne romanesque, qui n’avait plus pour satisfaire l’ardeur de son âme, l’excellent dérivatif de la lutte, s’orienta vers les ambitions moins nobles, de briller par le luxe de la toilette et des bijoux, par le faste des réceptions, et vers la recherche de distractions moins prosaïques : fêtes et bals, premières théâtrales, mondanités.

Elle n’avait plus sous les yeux l’exemple constant et puissant des braves gens que la mort venait de séparer. Elle n’avait plus à son aide la saine distraction des bonnes soirées familiales, à l’ambiance calmante et sédative.

Peu à peu, la femme devenait poupée.

De son côté, peut-être, Julien Merville, assombri par le deuil et l’éloignement de sa mère, n’avait-il plus été le compagnon charmant et plein de vie des premières années.

Enfin, pourquoi Dieu n’avait-il pas béni leur union, en donnant à Cécile la tâche tyrannique et chère d’élever un enfant, à Julien, la joie de travailler pour le bonheur futur d’un rejeton ?

Pourquoi ?

Peut-être parce que ce couple avait été trop parfaitement heureux, et que les épreuves sont nécessaires pour nous faire comprendre que le paradis ne nous est pas donné sur terre, mais que c’est là que nous devons le gagner.


II

UN REVENANT SURGIT DU PASSÉ


Julien, s’arrachant au songe, consulta sa montre. Il s’était attardé plus que de coutume à la consommation de la première cigarette et de la tasse de café, cette autre excellente amie ; mais, comme privé de sommeil, il s’était levé de très bonne heure, il avait encore une bonne demi-heure à lui avant l’ouverture de la Bourse.

Il se leva sans hâte, quoique d’un mouvement