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LA FLAMME QUI VACILLE

avec une moue de perplexité. Enfin, il se décida :

— Vous êtes tous les deux assez courageux pour connaître la vérité. Je réponds de l’avenir, mais actuellement… »

Et comme il semblait hésiter encore, soucieux du secret professionnel, Julien Merville intervint :

— Je vous prie instamment de dire toute la vérité. Ma fiancée doit la connaître.

— Vous êtes un honnête homme, capitaine, et je vous approuve. Sachez donc que vous présentez une légère lésion au poumon gauche. Ne vous frappez pas. Je vous garantis que dans deux mois, vous pourrez vous marier sans arrière-pensée, sans vain scrupule.

La franchise de cette déclaration rassura plutôt les jeunes gens. Tous deux étaient suffisamment instruits des choses médicales pour savoir qu’une lésion au poumon n’est pas forcément incurable, qu’au contraire, un traitement sérieux et précoce permet souvent d’espérer une cicatrisation complète.

La réalisation du diagnostic s’accomplit parfaitement et quand, deux mois après, Cécile prononça le « oui » sacramentel, son compagnon était en parfaites conditions physiques et morales.

Quelques jours après le couronnement de leur roman d’amour, ils prirent congé de l’excellente madame Coubès, qui pleurait à la fois de la tristesse de les voir partir et de la joie de les voir parfaitement heureux.

Sur le pont du « Scotian », les passagers ne pouvaient s’empêcher de remarquer et d’admirer ce couple idéal, qui allait vers l’avenir avec joie et confiance.


DEUXIÉME PARTIE

COMME LE TEMPS PASSE !


1919
1920
1921
1922
1923
1924
1925
1926
1927
1928
et 1929

TROISIÈME PARTIE

LE FEU SOUS LA CENDRE


1915 1930
25 Merville 40
45 Rosaire 60
5 Simone 20
18 Cécile 33



I

EXCURSION DANS LE PASSÉ


« La première… et la meilleure ! »

L’importateur Julien Merville aspira voluptueusement la fumée de sa cigarette et déplaça son assiette pour approcher de lui la tasse, où fumait un excellent moka. C’était une des petites joies de sa vie, active au dehors, maussade chez lui.

Au lieu de parcourir son journal, il suivit d’un regard distrait les volutes de fumée dont le prélassement lascif et diaphane évoquait le rêve.

.........................

Il revit défiler devant lui, comme sur un écran cinématographique, les années écoulées depuis la guerre : les premières, flamboyantes d’amour, lumineuses des joies de la lutte pour la vie, avec une compagne admirable ; les suivantes, attristées par les deuils ; les dernières, moroses, malgré l’aisance dorée.

Les cinq premières années de son mariage avaient été merveilleusement heureuses. Sa jeune épouse, aimante et courageuse, prenant part au combat pour la conquête de la fortune, avait contribué à sa réussite, tant par son affection constante, sa tendre sollicitude, que par l’aide effectif, que sur sa demande, les anciennes relations de son père avaient apporté au commerce de Julien, lui fournissant des renseignements précieux, qu’il n’eut pu lui-même aller chercher en France.

L’accueil charmant des parents de Julien leur avait d’emblée gagné le cœur de la jeune fille. Par la suite, l’exemple de ces braves gens, heureux de leur vie uniforme et calme, fiers de leurs chers enfants, comme ils appelaient Julien et Cécile, la tranquillité sereine de leur foyer où ils attendaient, paisibles et confiants en Dieu, le moment de se présenter devant lui, leur tendresse réciproque, que n’avait point entamée le cours des ans ; tout cela constituait un excellent régulateur pour l’âme romanesque de la petite française.

Quelles bonnes soirées ils avaient passées, sous le toit des parents. Le père, jovial et conteur émérite, les tenait sous le charme de son « humeur » de terroir, ce bon humeur canadien, un peu malicieux, mais qui dénote un don remarquable d’observation et de description, et que contrôle toujours le goût du propre et le respect de Dieu. Tandis qu’il contait, la tête un peu penchée, marquant les virgules d’une bouffée de pipe et que ses yeux rieurs et spirituels savaient si bien captiver l’attention, la maman, tout en écoutant avec plaisir des histoires qu’elle connaissait déjà, trottinait à pas de souris, s’affairait à la confection d’une friandise pour ses chers enfants et son « vieux » dont la gourmandise était le péché mignon.

On veillait dans la cuisine, coutume très répandue, entre intimes, au Canada, où cette pièce est toujours spacieuse et confortable. Quand on arrivait, on était tout de suite mis à l’aise et de bonne humeur par la joie évidente des hôtes. l’hospitalité est tellement ancrée dans les cœurs