nés par la digne Madame Coubès, partirent pour la Bretagne. Tandis que les deux dames s’installaient au Manoir, Anne-Marie eût vite préparé chez elle un logement convenable pour le jeune capitaine.
Quelques jours après leur arrivée, le vieux prêtre qui avait instruit Cécile vint, dans une cérémonie intime, bénir les fiancés.
Malgré le souhait exprimé par Madame Merville, Cécile insista pour que la date du mariage ne fût pas reculée jusqu’à la cessation des hostilités.
Imitant en cela beaucoup de jeunes filles françaises, elle voulait au contraire hâter leur union, affirmant qu’elle n’aimerait jamais un autre que son fiancé et que si le malheur le frappait, elle voulait entièrement partager ses souffrances.
Julien obtint toutefois qu’on fixât le mariage à sa prochaine permission, qui arriverait vraisemblablement au printemps.
On était alors en novembre, mais la température est clémente sur les côtes de Bretagne, où l’influence du Gulf Stream atténue la rudesse des vents marins. Aussi les jeunes gens purent-ils faire de délicieuses promenades, perdus dans leurs songes heureux.
Hélas ! les heures semblaient des minutes, les jours, des heures et bientôt vint le moment de la séparation, séparation bien cruelle, puisqu’à cette triste époque, on ne savait jamais, en se quittant, quand l’on se reverrait, ni même si on se retrouverait jamais.
Cécile et sa tante accompagnèrent le capitaine jusqu’à Paris, où elles devaient d’ailleurs retourner, et, après un morne souper d’adieu. Julien la laissa, confiante en lui, certes, mais le cœur déchiré de tristesse et d’angoisse.
Quant à lui, il dut secouer son chagrin. Il était redevenu le soldat qui va rejoindre son unité.
XI
APRÈS LE BEAU TEMPS…
Cécile avait repris ses fonctions d’infirmière à l’Hôpital de la Madeleine et Julien était à son poste à la tête de sa compagnie qui, sur sa demande, lui avait été rendue.
Ils échangeaient de longues lettres, dans lesquelles ils épanchaient leurs cœurs. Le roman d’amour se continuait à distance, plus tendre, plus passionné peut-être, qu’il ne l’eût été dans le voisinage. En effet, des fiancés qui se rencontrent fréquemment, sont retenus par le souci des convenances, par le respect mutuel, par une timidité invincible, surtout chez les jeunes gens. Pour une lettre, on se laisse peu à peu entraîner à ouvrir son cœur sans réserve. Et puis, dans cette période troublée, où le danger planait sur toutes les têtes, les nerfs surexcités, les cœurs ébranlés, les âmes surchauffées provoquaient une sorte d’audace qui rendait plus expansif, plus impulsif et plus spontané.
Aussi, les lettres échangées entre les deux amants, si purs et si tendres, formeraient-elles, à elles seules, un roman probablement plus beau, plus prenant, plus humain que l’ensemble de cet ouvrage. Mais il serait indiscret de livrer au public ces épanchements intimes, qu’il est peut-être plus adroit de lui laisser imaginer lui-même.
Tous ceux qui ont été au front savent avec quelle ardeur on attendait les lettres des siens, combien on les relisait, comment, sans fausse honte, on les plaçait contre son cœur, ainsi qu’une sainte relique. Ils savent qu’avant le « coup de chien », on ne se gênait pas pour embrasser une photographie devant les camarades, qui n’auraient pas songé à en rire, livrés eux-mêmes à de semblables pensées d’affection ou d’amour.
On sait aussi avec quelle ardeur impatienté ceux qui « avaient quelqu’un à la guerre », attendaient ses nouvelles, les lisaient, relisaient et commentaient.
On peut donc facilement comprendre la place que tenait dans leur vie, la correspondance échangée entre ces deux grandes âmes, si ardemment éprises l’une de l’autre.
Et, sans peine, on réalise le dépit, puis l’inquiétude, puis l’angoisse, et l’affolement enfin, de la pauvre Cécile quand les lettres de Julien cessèrent de lui parvenir.
Elle crut d’abord à un simple retard, bien explicable dans les circonstances : un déplacement subit, un changement de secteur imprévu, avaient pu contrarier l’ardeur régulière de Julien à lui écrire ; une lettre pouvait être oubliée, s’attarder dans quelque casier, s’égarer dans quelque fond de sac. Mais les jours succédaient aux jours sans apporter la missive espérée. Après avoir écrit plusieurs fois, sans obtenir de réponse, elle reçut ses propres lettres, retournées avec la sinistre mention : « Disparu. »
Une secrète pudeur l’empêchait d’écrire au sergent-major de la compagnie pour demander des éclaircissements, des précisions et elle passa des jours de mortelle angoisse, que le doute rendait plus troublante encore. Était-il mort, enseveli par l’éclatement d’une mine ou d’un obus ? Ou captif, blessé peut-être et privé, maltraité par un ennemi que ses propres misères rendaient peu généreux envers les prisonniers, bouches inutiles à nourrir ?
Un jour, une lettre lui parvint, portant le timbre du Canada. Elle l’ouvrit en hâte, mais ce fut pour elle une nouvelle douleur. Bien qu’elle y trouvât le témoignage, auquel elle fut infiniment sensible, de l’affection des cœurs hospitaliers qui la considéraient et traitaient comme leur propre enfant, elle y reçut la confirmation de la terrible nouvelle, aggravée par des détails qui ne laissaient guère d’espoir et par le texte, peu encourageant, du message officiel que monsieur Merville avait reçu et dont il joignait copie à la lettre de sa femme.
Ce message se terminait par cette ligne, glorieuse, mais combien douloureuse : « Le capitaine Julien Merville est disparu dans de telles circonstances, qu’on a tout lieu de le considérer comme « Mort au champ d’honneur. »
Cécile fut atterrée. Certes, l’idée que son fiancé put être mort avait souvent frôlé sa pensée, mais elle l’avait repoussée comme on chasse un