pénible la tristesse de ne pas vous avoir près de moi. Mais je veux tout de suite vous parler du but de cette lettre.
« Ma chère maman, dans son exil, votre fils a trouvé un ange gardien, et je dis cela sans exagération car elle est belle et bonne, comme seuls les anges peuvent l’être. Ne froncez pas les sourcils ; je vous assure que son âme, pure et limpide, laisse paraître toutes les vertus. Si vous pouviez seulement la voir et causer avec elle, vous seriez entièrement de mon avis, mais puisque cela, hélas ! est impossible, je dois me contenter de vous dire qui elle est et ce qu’elle est.
« Mademoiselle Cécile de Kerlegen n’a pas encore vingt ans. Elle est de vieille noblesse bretonne, ce qui vous fera mieux comprendre qu’elle est très croyante et très pieuse.
« Son enfance a été quelque peu solitaire, sa mère étant morte en lui donnant le jour et son père étant capitaine au long cours.
« Cependant, elle s’est fait une vie intérieure très belle, une âme très élevée, qu’a modelée un vieux prêtre savant qui lui servait de précepteur.
« Actuellement, il ne lui reste qu’une tante, très bonne et dévouée, mais je crois qu’elle consentirait à la quitter pour suivre son mari.
Voilà le grand mot lâché ! Oui, ma chère maman, je rêve de faire d’elle ma femme. Et vous êtes la première à connaître mon secret, car croyez bien que je n’ai rien laissé deviner de mon amour à celle qui l’inspire, avant d’avoir votre consentement. Mais je vous assure que cet amour est profond et que ce n’est pas sans avoir longuement réfléchi que je vous en parle.
« J’attendrai votre réponse et le consentement de mon père pour me déclarer, mais soyez persuadés tous deux qu’il y va du bonheur de ma vie.
« Je ne sais même pas si je serai agréé ; je me demande si cet ange terrestre peut m’aimer et surtout m’aimer assez pour renoncer aux partis plus brillants qu’elle trouvera sans peine et s’exiler de France, car, bien entendu, c’est près de vous, au Canada, que je ferai ma vie.
« Tout ce que je sais, c’est que je serais très malheureux si je devais renoncer à mon beau rêve.
« J’attends avec hâte votre réponse et, vous embrassant de tout mon cœur, je demeure votre fils aimant et respectueux. »
IX
ADIEU OU AU REVOIR
Dans sa petite cuisine, éblouissante de propreté, Madame Combès s’affairait, ce matin-là. Sa petite tête folle de nièce ne s’était-elle pas avisée d’inviter à dîner un bel officier, un capitaine de l’armée canadienne ?
Certes, la brave dame était très heureuse de recevoir ce jeune héros, dont la famille était si loin et qui, au sortir de l’hôpital, se trouverait bien désemparé dans la capitale, avec son congé de convalescence. Mais allait-elle savoir lui donner une réception digne de lui ? Aussi, l’excellente femme s’affolait un peu, mettant, comme on dit, les petits plats dans les grands.
Dans la coquette salle à manger, Cécile ayant achevé de disposer les couverts, surveillait l’horloge avec impatience et se laissait aller à une douce rêverie, dont le charme s’estompait de mélancolie.
Était-il possible que son cher malade, le capitaine Julien Merville, vint à ce déjeuner pour lui faire ses adieux ? Hélas ! Demain, il sera en convalescence dans quelque campagne éloignée ; dans un mois, il repartira au front, vers l’inconnu, vers la mort peut-être.
À cette pensée, son cœur se serre et elle a peur de comprendre que ce cœur ne lui appartient plus. Insensiblement, elle l’a laissé envahir par l’Autre, par ce jeune héros, venu d’un pays merveilleux et lointain, pour défendre sa seconde mère : la France !
N’est-ce pas lui le Prince Charmant de ses rêves ? N’est-ce pas lui que sa tendresse attend depuis toujours ?
Mais non ! Il va partir !
Partir… et disparaître de sa vie.
On sonne.
Elle se précipite. Un petit messager est là, portant une gerbe de fleurs.
Elle lit la carte :
— Julien Merville.
À Madame Coubès, qui veut bien accueillir à son foyer, un exilé, qui, demain, sera bien seul.
Elle apprécie la délicatesse du jeune Canadien qui, n’osant se permettre d’adresser des fleurs à une jeune fille, remercie avec goût la maîtresse de maison.
Mais n’est-ce pas elle que vise la fin de la dédicace :
— Qui, demain, sera bien seul ?
Demain ?
Cette fois, c’est lui. Cécile essuie hâtivement une larme et appelle sa tante. Le repas, excellent d’ailleurs, est charmant, grâce à la cordialité de l’hôtesse et à l’application des jeunes gens à être d’aimables convives, mais il y a, par moments, de courts silences, où l’on sent flotter une tristesse contenue.
Après le café, Madame Coubès s’excuse, pour remettre sa cuisine en ordre et Cécile emmène son invité au salon.
Pour lui, c’est l’instant décisif. S’il ne veut pas que bientôt, l’on échange un adieu banal, il faut qu’il parle sans retard.
S’il allait être éconduit ?…
Il surprend un voile de tristesse dans les chers beaux yeux et cela l’encourage :
— Savez-vous, petite amie, que vous allez terriblement me manquer. Nous avons été de