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L’EMPOISONNEUR

V’là un chèque accepté !… Tiens ! un autre ! … Et pis encore un petit !… Tu bouges plus ?… T’as c’qu’y te faut ?… Attends un peu que je donne de la lumière pour mieux voir ta face de crapule !… Là !… Pis, pour plus de sûreté, on va t’attacher les abatis !… Ayez pas peur, mamzelle Blanche !… V’là une canaille qui fera plus de mal à personne pendant une vingtaine d’années au moins !… Tiens, ça te réveille ?… Bouge pas ou bien tu vas en avoir encore, du narcotique !… Une bonne petite potion calmante, comme tout à l’heure ! … D’abord, t’as pas d’affaire à « kicker ! Tu vas faire un beau voyage aux frais du gouvernement !… T’apprendras à jouer au golf, tu sais ? avec des petits maillets longs de même pour taper sur des pelotes carrées ! Allez ! dans le coin, le paquet de linge sale !…

Poussant le vieux bandit, ficelé comme un saucisson dans un angle de la pièce, Charlot revint à l’enfant pour essayer de la rassurer.

À ce moment, Noirmont, s’inquiétant, venait voir ce qui se passait ; d’un coup d’œil, il jugea la scène et sans perdre une seconde, il sortit son revolver, ajustant Charlot.

Mais, au moment de tirer, il songea que la détonation ne manquerait pas d’attirer les voisins dans l’escalier, ce qui rendrait la fuite plus périlleuse. D’ailleurs, Charlot, penché vers Blanche, se trouvait à lui tourner le dos ; il remit donc son revolver dans sa poche et bondit, les mains en avant, espérant pouvoir saisir par derrière la gorge du gros garçon et l’étrangler silencieusement.

Fort heureusement, Blanche l’aperçut et poussa un cri, avertissant Charlot du danger ; se voyant découvert, Noirmont lança son poing à toute volée, mais ne rencontra que le vide, car le jeune homme s’était rapidement baissé, esquivant le coup et encerclant de ses bras l’adversaire. Dans ce mouvement, il sentit la crosse d’un revolver et réussit à s’en emparer, de sorte que lorsque le faux docteur, s’étant dégagé, voulut avoir recours à son arme, Charlot le mit en joue, disant sans s’émouvoir outre mesure :

— Cherche le pas !… Je le tiens !… Mais lève les mains, des fois que t’aurais un outil de rechange !… Tiens ! assieds-toi là et bouge plus, sinon tu vas manger des pruneaux !

À ce moment, il sentit à la jambe une douleur terrible : en tenant en respect le docteur, il avait reculé, sans y prendre garde, un peu trop près du concierge qui, réussissant à soulever la tête, mordait avec rage le mollet du jeune homme ; de surprise, ce dernier avait lâché l’arme, pour la possession de laquelle une lutte sans merci s’engagea.

Sans perdre un instant, Noirmont avait tenté de s’en emparer, mais Charlot, se dégageant d’une ruade, l’avait saisi à bras-le-corps ; tous deux se démenaient terriblement, se roulant sur le plancher, entraînant les meubles dans leurs chutes.

Blanche surveillait le combat, en proie à une intense frayeur et alors, un miracle se produisit : sous l’influence de la terreur, la petite paralytique se dressa peu à peu sur son fauteuil, fit quelques pas en avant, puis, tomba évanouie, couvrant de son corps l’arme meurtrière.

Charlot était un garçon robuste, mais son adversaire était plus vif et surtout plus vicieux que lui ; dans les bas-fonds et les bagnes, où sa vie s’était écoulée, il avait eu l’occasion d’apprendre tous les moyens sournois par lesquels un lutteur peut triompher d’un homme plus musclé que lui et bientôt, le bras du jeune Papin se trouva immobilisé, comme broyé dans un étau ; la douleur fut telle qu’il s’évanouit.

Sans perdre une seconde, Noirmont délivra son oncle et tous deux se précipitèrent sur la porte, qui s’ouvrit violemment : devant eux se tenait un homme jeune et élégant, en qui on devinait sans peine un athlète redoutable ; ils eurent un mouvement instinctif de recul que l’arrivant mit à profit d’une manière singulière.

D’un coup d’œil rapide, il fit l’examen des lieux ; il vit une fillette étendue, les bras en croix et dans un coin, un gros garçon également immobile ; tous deux semblaient privés de vie.

Une lueur de colère flamba dans les yeux du jeune homme qui, d’un geste prompt, referma la porte derrière son dos, fit tourner la clé dans la serrure et la mit dans sa poche ; puis, avec toute la force d’une résolution désespérée, il proféra cette terrible menace de duel à mort :

« À nous trois, maintenant