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L’EMPOISONNEUR

vous pouvez trouver mieux que c’t’affaire-là ! … C’est pas un ornement pour égayer une maison !… Ah ! c’qu’y vous faudrait, ça serait un beau gars, fort, bien portant, avec un bon cœur, un bon sourire…

— Comme Charlot, compléta Blanche.

— Bien oui, comme moi, approuva le gros garçon, vivement. Enfin, c’est toujours pas moi qui l’ai dit. Mais, c’est vrai, je pense que je ferais saprement mieux votre affaire !… Je suis pas savant comme lui, mais moi, au moins, je vous dirais… Je vous dirais, mais en tout cas, ça viendrait du cœur !… Ça serait pas des menaces, pis des : « Si vous faites ci, je ferai ça ! » Non, ça serait la promesse de me dévouer pour vous, si vous acceptiez, pis, si vous refusiez, de me dévouer encore et toujours, parce que… parce que je vous aime, bon, et pis… et pis, je vous aime ! Ouf !… ça y est ! Je l’ai dit !… Je suis bien content ! Et, sous le heurt des sentiments violents qui bouillonnaient dans son cœur, le brave garçon se mit à pleurer. Sa maman, que l’émotion commençait à gagner, le secoua :

— Si t’es content, arrête de brailler !… C’est ben tout le portrait de feu son père ! … Quand y avait de la peine, y prenait un coup pour oublier, pis après ça, y faisait rien que rire ! Quand il était content, y prenait un coup pour célébrer, pis y braillait comme un veau !


III

DANS LA TANIÈRE DU TIGRE


Après avoir été éconduit, le docteur ne quitta pas immédiatement l’immeuble ; s’assurant que personne ne le voyait, il entra dans la loge du concierge.

Son attitude était bien différente de celle qu’il avait affectée précédemment ; son arrogance avait fait place à la contenance penaude et craintive d’un enfant pris en faute.

De son côté, le vieillard n’était pas moins transformé : il n’avait plus ce sourire de servitude, cette tenue de subalterne, ce geste de prière ; maintenant, on sentait en lui le maître : son regard perçant, inquisiteur, déshabillait l’âme du nouveau venu, une expression inquiétante, de ruse et de cruauté, ressortait de chaque ride de son visage glabre, sa voix était ferme et autoritaire :

— Eh bien ! où en es-tu ?

— Bah !

— As-tu fait ta demande ?

— Elle a été repoussée !

— Imbécile !

Noirmont courba la tête, sentant venir l’orage, tandis que le vieillard arpentait sa tanière, en proie à une violente colère ; cependant, l’accès ne se produisit pas, mais l’interrogatoire reprit :

— Pourquoi refuse-t-elle ?

— Elle ne m’aime pas !

— Naturellement, mais il fallait…

— Je lui ai donné tous les arguments susceptibles de la convaincre, mais il est visible qu’elle a un autre amour au cœur, ou peut-être, ce qui est pire, un chagrin d’amour.

— Attention !

On entendait un bruit de voix dans le passage et, ne voulant pas qu’on vit le docteur dans sa loge, le père Grimard le poussa dans la pénombre d’une alcôve.

Madame Papin et son fils quittaient la maison, retournant à leur ouvrage ; sitôt qu’ils se furent éloignés, Noirmont sortit de sa cachette et vit, à sa grande surprise, que le vieux ricanait :

— Ce serait drôle, dit ce dernier, si c’était ce gros poupon qu’elle te préférât. Enfin, je tâcherai de le savoir. Pour le moment, réponds ! Comment les as-tu quittées ?

— En annonçant, pour après-demain, une nouvelle crise.

— Parfait ! Ainsi, tu sais ce qui te reste à faire.

— Écoutez, mon oncle, je ne peux plus me prêter à cet assassinat. Ce que j’endure est affreux : mes nuits sont peuplées de cauchemars, des visions horribles troublent mon sommeil ! Je vois ma victime se dresser devant moi, toute blanche, dans son linceul, et m’accuser !

— Folies que tout cela !… Je t’ai fait évader du bagne, parce que j’avais besoin d’un homme connaissant la médecine, pour mener à bien mon formidable projet. Ton évasion m’a coûté toutes mes économies ; ici, je cours après une immense fortune, mais il faut que tu m’obéisses aveuglement…

— Et que je tue cette innocente !

— Mais non… ou du moins, pas tout de