— Mon plus cher désir serait de pouvoir continuer à le faire toujours !
— Mais, docteur, tant que vous en aurez la bonté, il me semble que…
— On ne sait jamais, mademoiselle. Des événements indépendants de notre volonté rendent parfois impossible la réalisation de nos plus chers désirs.
— Que voulez-vous dire ?
— Qu’il peut un jour se produire un changement dans votre vie… ou dans la mienne. Tenez, par exemple, un mariage ! … Vous êtes fort jolie… oui, oui, fort jolie… et je suis certain que beaucoup vous ont déjà remarquée. Un jour ou l’autre, vous fixerez votre choix !… Peut-être qu’alors, votre mari prendrait ombrage de mes visites et je me verrais obligé, à mon grand regret, de refuser mes soins à votre sœur.
— Docteur, il est presque certain que je ne me marierai jamais. En tout cas, il faudrait que celui que je choisirais m’aimât suffisamment pour adopter Blanche comme notre enfant et ne pas sacrifier sa santé à une mesquine question de jalousie déplacée !
— Soit !… mais peu de femmes partagent vos idées nobles et larges !… Et si, moi-même, je me mariais, il serait possible que ma femme ne vit pas d’un bon œil mes visites chez des jeunes filles vivant seules.
— Il faudrait qu’elle eût un bien vilain esprit !
— Ou, tout simplement qu’elle fut un peu jalouse !… Et, croyez-moi, bien des femmes le sont, non pas un peu, mais beaucoup ! … Vous voyez donc que, de votre côté, comme du mien, un mariage risquerait fort de nous séparer… à moins que…
— À moins que…
— À moins qu’il ne nous rapprochât !… Vous cherchiez tout à l’heure un moyen de me remercier, (puisque vous prétendez me devoir quelque reconnaissance) ; eh bien ! il existe une solution qui présente tous les avantages qu’on puisse souhaiter !… Mon oncle, immensément riche, m’a promis que ma fortune serait doublée le jour où je me marierai…
— Comment, vous songeriez à…
— Vous épouser, pourquoi pas ?… Le mariage en lui-même constitue pour moi une excellente affaire.
— Pardon, docteur, mais si vous l’envisagez dans ce sens… pratique. L’affaire serait bien meilleure si vous épousiez une riche héritière !
— Sans doute, mais il est toujours mieux de joindre l’agréable à l’utile et c’est exactement ce que je ferais en touchant le cadeau promis par mon oncle et en conduisant à l’autel une charmante personne comme vous.
La petite Blanche, qu’on semblait oublier, crut le moment venu de rappeler sa présence par cette réflexion :
— Ne vous gênez pas !… Je suis là.
Le docteur ne se démonta pas pour si peu et répartit, saisissant la balle au bond :
— Mais justement, je suis très satisfait d’avoir su, devant une petite personne aussi raisonnable, faire à Mademoiselle Jeannette une aussi honnête déclaration d’amour.
— Vous appelez ça une déclaration d’amour, fit l’enfant, espiègle, moi, j’appelle ça une leçon d’arithmétique !
Le docteur se mordit la lèvre, mais dit avec le plus grand calme :
— Je vous ferai respectueusement remarquer, ma chère petite demoiselle, que ce n’est pas de vous que j’attends une réponse, mais de mademoiselle votre sœur !
— Ah ! merci, fit Blanche, un peu interloquée, c’était aussi bien de me dire de me fermer !
— Voyons, Blanche ! intervint Jeannette avec douceur, puis, voyant que le docteur attendait sa réponse :
— Après toutes les bontés que vous nous avez prodiguées, devant votre désintéressement à soigner d’une manière si efficace ma petite sœur… il m’est très pénible de ne pouvoir accepter l’honneur que vous voudriez me faire.
— Ah ! je suis profondément peiné de votre refus, mademoiselle, mais j’ose espérer que vous réfléchirez, que vous changerez votre décision !… Songez-y donc : d’un côté, la vie pénible que vous menez, avec la crainte d’être un jour impuissante à protéger votre jeune sœur ; de l’autre, une situation aisée, enviable, car j’ai de la fortune, ne l’oubliez pas !
— Monsieur Noirmont, sans vouloir critiquer votre façon d’envisager le mariage, je vous demanderai la permission de ne pas la partager. Pour moi, la question d’argent n’est que secondaire.
— Pour vous seule, peut-être !… Mais