Page:Nel - L'empoisonneur, 1928.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
L’EMPOISONNEUR

Charlot se décida, pour un moment du moins, à suspendre les hostilités, grommelant toutefois :

— C’est bon ! Je me ferme !… Je me contiens !… C’est dur, mais je me contiens !

Le calme rétabli, le père Grimard put enfin parler :

— Ma chère demoiselle, je venais prendre des nouvelles de notre petite malade et de vous-même, qui offrez le plus bel exemple de dévouement fraternel et de courage dans l’existence !

— Y parle-t-y bien un peu ! ne put s’empêcher de ponctuer Madame Papin, tandis que Charlot disait d’un ton ému :

— Père Grimard, je vous fais mes excuses ; pour une fois, vous avez parlé comme du monde !

— Je ne vous demande pas votre opinion, jeune homme !

— Comment, jeune homme ?… Gardez donc vos distances, portier !

— Et vous, ne gaspillez pas le peu d’esprit qui vous reste !

— Allons bons ! s’exclama Madame Papin, v’là que ça va encore recommencer !… Oh ! ben moi, je me pousse !… Arrive, Charlot !… J’suis pas capab’ d’entendre chicaner de même !… Ça me rappelle trop le temps que ton pauv’ père était pas mort !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est à cet instant que trois coups, méthodiquement espacés, furent frappés contre l’huis ; le père Grimard se précipita pour ouvrir, mais comme, au même instant, le nouveau venu poussait la porte, celle-ci entra en contact de façon un peu rude avec le nez du cerbère dévoué. Naturellement, Charlot poussa discrètement du coude sa bonne femme de mère et tous deux s’égayèrent « in petto », tandis que Blanche ne se gênait pas pour rire ; un éclair de rage s’alluma dans le regard du vieillard, mais fut vivement transformé en un sourire obséquieux :

— Eh ! mais c’est notre bon docteur !… Entrez donc, mon brave monsieur !… Tenez ! venez vous asseoir là, dans ce fauteuil !…

Le docteur toisa un instant le portier, puis, accentuant le pli dédaigneux de sa bouche, il laissa tomber un glacial :

— Merci, mon ami !

Puis, se tournant vers les jeunes filles, il s’inclina profondément ; enfin, après un regard de côté qui signifiait nettement : « On vous a assez vus », il daigna saluer Madame Papin, d’un simple abaissement des paupières.

Cependant, le père Grimard s’affairait :

— Allons !… Nous allons vous laisser !… Il ne faut pas retarder la consultation de Monsieur le Docteur !… Ah ! c’est lui, qui guérira notre petite malade !… Quel bon Docteur !

Monsieur Noirmont ne sembla pas apprécier ces flagorneries, car le ton de sa voix descendit à 50o au-dessous de zéro, pour répondre :

— Je ne vous ai pas chargé de faire ma publicité… bonhomme !… Occupez-vous donc de vos affaires !

— Pan ! dans l’œil ! s’exclama Charlot dans un éclat de rire, mais il s’attira un tel regard du docteur qu’il coupa net au débordement de sa joie et dit tout bas à sa mère :

— Je pense bien que le croque-mort trouve qu’on est de trop !

— Oh ! non, c’est pas ça… Mais y aimerait qu’on se pousserait !

— Alors, passe devant, maman ! Bonjour, tout le monde !

Et, au moment de sortir, Charlot se retourna sur le seuil, puis, singeant le médecin, il commanda au concierge :

— Allons, suivez-nous… bonhomme !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après le départ des gêneurs, le docteur assura son monocle et vint prendre la main de la petite malade, chez laquelle il ne put s’empêcher de noter un léger mouvement de recul :

— Eh quoi ?… je vous fais peur, maintenant ?

Jeannette s’empressa d’intervenir :

— Mais pas du tout docteur ! N’allez pas croire ça ! Sa maladie la rend un peu maussade, mais je suis sûre que dans le fond, elle vous est très reconnaissante de ce que vous faites pour elle… pour nous !

Noirmont jugea que le moment était venu de démasquer ses batteries et, tout de suite, commença la bataille :