— Tout le contraire ! lança Blanche d’un ton espiègle.
Charlot, soulagé, respira bruyamment et laissa partir ce cri du cœur :
— Ah ! bien, j’aime mieux ça !
— Je comprends, reprit l’enfant terrible ; tout le contraire… c’est presqu’une déclaration d’amour !
Jeannette, très gênée par ces propos, finit par se fâcher :
— Mais elle est effrayante, cette petite !… Elle perd la tête !
— C’est que je vais mieux, s’écria la petite infirme avec exubérance !… Je suis contente de vous avoir près de moi, tous les trois !… Et puis, ce matin, il fait soleil et je me sens heureuse !… Le soleil, c’est le grand ami des petites malades !
Au moment où les voisins, pressés d’aller préparer et absorber leur dîner, se disposaient à prendre congé, un nouveau visiteur se présenta, retardant leur départ.
C’était le père Grimard, le concierge, étrange petit vieillard, à la voix douce et chevrotante, dont les mains tremblantes semblaient être toujours jointes pour une prières sans fin. Dès le seuil, il grimaça un sourire onctueux et lança cette salutation :
— Hé ! hé ! bien bonjour, la jeunesse !
Bien qu’il ne fut que depuis peu de temps concierge de cet immeuble — (il y était arrivé presque en même temps que Jeannette) — le vieillard s’était gagné la sympathie de la plupart des locataires. Nous disons : « la plupart », car nous avons vu déjà que la petite Blanche ne partageait pas ce sentiment ; il est probable que la pauvre enfant, toujours souffrante et condamnée à la réclusion, éprouvait plus de plaisir à voir des visages réjouis, comme ceux de Madame Papin et de son digne rejeton, qu’à contempler la vieille figure toute ridée, ratatinée du père Grimard ou la physionomie froide et fermée du docteur Noirmont.
Un autre locataire refusait également sa sympathie au bonhomme ; c’était le jeune Charlot. D’abord, le jeune homme avait lancé quelques petites plaisanteries inoffensives à l’adresse du portier ; celui-ci les avait très mal acceptées, et, répondant du tic au tac, il s’était attiré une avalanche de quolibets. Comme chacun voulait avoir le dernier mot, c’était à toutes leurs rencontres, une joute ironique qui, parfois, ne manquait pas de saveur.
Le bonhomme avait à peine lâché son « Bonjour la jeunesse ! » que Charlot saisit l’occasion au vol :
— Bonjour ! bonjour ! bonhomme cent ans !
À quoi le vieux répliqua vertement :
— Salut bien, jeune freluquet !
Madame Papin crut bon d’intervenir :
— Arrêtez donc un peu de vous chicaner !… Allons bon ! les v’là encore partis !… On dirait un gendre qu’est pris avec sa belle-mère !
Charlot renchérit aussitôt :
— Ben ! si y avait que des belles-mères de ce calibre-là, je connais quelqu’un qui ferait un vieux garçon pour le restant de ses jours !
Jeannette, intervint à son tour, en conciliatrice :
— Voyons, arrêtez un peu, Monsieur Charlot, et vous père Grimard, dites-nous quel bon vent vous amène ?
Charlot ne put s’empêcher de marmotter :
— Si j’étais sûr que le vent le ramène, j’ouvrirais le châssis tout grand !
Alors, tandis que Madame Papin et Blanche éclataient de rire, le père Grimard rassembla toute sa dignité pour déclarer d’un ton offusqué :
— Mademoiselle Jeannette, je me demande comment vous pouvez supporter que ce jeune bouffon prenne votre logement pour y jouer ses farces !
La réponse de Charlot, comme bien on pense, ne se fit pas attendre :
— Et moi, Mam’zelle Jeannette, je me demande comment vous pouvez supporter devant votre petite malade, le spectacle de cette ruine physique et morale !
— Monsieur Charlot !…
— Môssieu Grimard !…
— Vous êtes un petit paltoquet !
— Et vous, un vieux… un vieux…
— Un vieux quoi ?
— Je le dirai pas, mais je le pense !
Madame Papin, vexée que son beau Charlot ait été affligé d’une épithète aussi péjorative, s’empressa de mettre son grain de sel.
— C’est ça, ferme toi, mon petit gars !… Tu sais ben que la vérité est pas toujours bonne à dire !