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L’EMPOISONNEUR

trent les miens, ils me disent : « Je t’aime ! »

Jeannette caressa l’enfant et remarqua plaisamment dans le but de l’égayer :

— Tu ne voudrais tout de même pas que les yeux du docteur te disent : « Je t’aime ? » ni ceux du père Grimard ?

« Oh ! bien non, alors ! s’exclama Blanche, riant de bon cœur.

— Allons, reprit gaiement l’aînée, à la bonne heure !… Plus de pensées tristes ! … Sois gaie et… bois ton remède.

— Oh ! bien, ça, ça me fera pas rire !.. Ça me fera faire la grimace !…

— Peut-être, ma chérie, mais cela te guérira. Et ce qui te guérira aussi, c’est d’avoir confiance en ceux qui t’aiment et qui te soignent, en moi d’abord, qui ne veut vivre que dans un but : ta guérison, en Monsieur Grimard, qui est un vieux brave homme, en M. Noirmont, qui est un médecin dévoué et désintéressé, en cette bonne Madame Papin, notre voisine en en…

— Et en son fils, M. Charlot, un beau garçon dont les yeux savent bien dire : « Je t’aime ! »

— Blanchette… !

— Oh ! ne te fâche pas, Charlot est très gentil et te ferait certainement un bon petit mari.

— Mais veux-tu bien te taire, enfant terrible ! … D’abord, je ne me marierai jamais !

Au souvenir d’Hector, de son fiancé qu’elle ne pouvait oublier, bien qu’elle le crût infidèle, une larme perla sous les cils de la jeune fille, que sa petite sœur essaya aussitôt de consoler :

— Parce que je suis malade, hein ?… Alors, je vais bien me soigner pour guérir vite et que tu puisses être heureuse. Tiens ! tu vois ? je ferme les yeux, je me bouche le nez… et j’avale cette horreur !

Et, avec une grimace comique, l’enfant ingurgita le contenu de la tasse que lui tendait sa grande sœur.

Après le modeste dîner, Jeannette venait de se remettre au travail et Blanche somnolait dans son fauteuil, quand quelques coups furent frappés à la porte.

— Entrez ! fit la jeune fille sans lâcher son ouvrage.

Une grosse dame apparut, arborant un bon sourire et lançant d’un ton jovial :

— Bonjour, mes petites chattes !… Et puis ?… Comment que va notre petite malade, à matin ?

La brave Madame Papin s’avança, tapota d’un geste maternel les joues de l’infirme, puis, en habituée de la maison, déposa familièrement sur une chaise la partie la plus charnue de sa plantureuse personne, tandis que Jeannette répondait, sans toutefois arrêter son aiguille.

— Merci, Madame Papin, Blanche est mieux aujourd’hui ! La gaieté lui revient avec les premiers rayons de soleil. Tout à l’heure, elle riait de bon cœur.

— Oui, nous parlions justement de vous ! lança étourdiment la fillette.

— Et quand on parle du soleil, on en voit les rayons ! ajouta vivement Jeannette.

La grosse dame se mit à rire en remerciant :

— Vous êtes bien honnête, ma petite demoiselle, mais par chez nous, à Sainte-Rose du Dégelé, d’où je viens, on dit pas ça de même !… Non ! on est moins poétique !… On dit tout bonnement :

Quand on parle de la bête,
On y voit la tête !

Enfin ! ça revient au même, malgré que c’est pas pareil !… Pis, vous parliez de moi ?… Je gage que c’était en mal ?

— Oh ! vous savez bien que non, protesta la jeune fille. Nous serions bien ingrates, après tous les services que vous nous avez rendus.

— Parlez donc pas de ça !… Parlez donc pas de ça !… Entre voisines, faut bien se donner un peu la main !… Et puis, qu’est-ce que ça me fait, à moi, de tenir compagnie à votre petite sœur quand vous allez livrer votre ouvrage ?… C’est pour moi qu’est tout le plaisir.

— C’est tout de même bon de votre part, sans compter tous les remèdes que vous nous avez donnés.

— Bah ! on avait ça chez nous depuis le temps que feu mon pauvre mari s’est laissé mourir d’une attaque de mort subite ! Ça se gaspillait ! c’est aussi bien que ça vous serve !… Mais dites-moi donc, mon garçon est pas rentré ?

— Oh ! je ne pense pas, répondit la couturière, car il n’aurait pas manqué de s’arrêter en passant pour prendre des nouvelles de Blanche.

— Et de Jeannette ! ajouta malicieusement la fillette.

— Blanche ! je vais me fâcher !