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L’EMPOISONNEUR

te… Je suis plus fort que toi, mon pauvre enfant !

— Et si je te donnais dix mille piastres pour que tu ailles visiter les vieux pays ?

— Je n’ai jamais su garder mon argent !… (Autrement, je serais millionnaire depuis longtemps !…) Dans quelques mois, je serais « cassé » et je me verrais, à mon grand regret, obligé de repasser à ta banque !

— Non, vois-tu, ce qu’il me faut, c’est un poste rémunérateur, dont je touche chaque semaine le salaire !… Et puis, entre nous, un maître d’hôtel comme moi, un homme de confiance, ça vaut bien cent piastres par semaine !

— C’est trop d’effronterie !… Je vais faire venir mon ami, le chef de police et te renvoyer pensionner d’où tu sors !

— Je m’y ennuierais trop tout seul et ferais en sorte que tu viennes bientôt m’y rejoindre, en attendant le nœud coulant !

— J’ai vu pendre, une fois, à Londres ; c’est un bien pénible spectacle et, franchement, cela me chagrinerait de te voir balancer au bout de la corde raide, la colonne vertébrale brisée !

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Et, dans sa rage impuissante, le faux Gravel dut accepter les services du faux Valade.


Troisième Partie
L’EMPOISONNEUR

I

DEVANT DIEU


Malgré la présence insolite de l’énigmatique personnage dans la maison du riche industriel, la vie sembla reprendre son cours normal ; la chance en affaires souriait toujours à Joseph Lespérance et l’attitude de Lorenzo était assez rassurante. Il se contentait de toucher chaque semaine sa paye princière, avec un sourire qui prétendait être respectueux, mais dans lequel perçait l’ironie.

Cependant, certain soir, après l’absorption d’une quantité respectable de « scotch whiskey », — sa boisson favorite, — le faux Gravel fut pris d’un violent malaise. Le docteur, appelé en toute hâte, conclut à un engorgement du foie et prescrivit un régime des plus sévères.

En dépit de l’application du traitement et de l’observance du régime, la maladie ne fit qu’aggraver, minant lentement, mais sûrement, progressivement, ce corps qu’avaient usé d’avance les abus alcooliques. Par un raisonnement familier aux bons ivrognes invétérés, Joseph estimant que le fait d’avoir cessé brusquement de boire lui ôtait toute force de réaction, s’accorda l’indulgence de quelques rasades généreuses qui furent loin de le soulager.

Au bout d’un mois, tout espoir de le sauver fut abandonné et son fidèle domestique qui savait mieux que personne à quoi s’en tenir, rédigea un testament « autographe », d’une imitation parfaite, le faisant légataire universel des biens de Paul Gravel.

Puis, patiemment, il continua à verser à son maître le poison qui le tuait à petit feu.

Cependant, son plan criminel fut déjoué, car un matin, il trouva un prêtre au chevet du malade. Dissimulé derrière une tenture, il surprit la confession de sa victime, écoutant sans vergogne les conseils et les exhortations du prêtre.

Ce dernier, cherchant la corde sensible pour provoquer le repentir dans cette âme ulcérée, insista particulièrement sur la paternité dont Joseph s’était montré indigne, excitant sa pitié envers les fillettes abandonnées et surtout envers le bébé venu au monde infirme et portant les tares du vice de son père.

Le prêtre, après avoir absout le pécheur repenti, céda la place au notaire et Joseph Lespérance, imprégné des paroles du saint homme qui venait de lui donner le repos de l’âme, dicta un étrange testament :

« La moitié de sa fortune devait être remise immédiatement à une chanteuse de music-hall, nommée Lise de Beauval ; l’autre moitié devait être conservée en banque jusqu’à la majorité d’une nommée Blanche Lespérance, domiciliée autrefois rue Demontigny. Cette dernière ne devait être mise au courant de son héritage que le jour où elle atteindrait l’âge de le recevoir. Si toutefois elle mourait avant ce délai, sa part devrait être remise à sa sœur aînée, Jeannette Lespérance. »

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La rage au cœur, Lorenzo Lacroix entendit dicter ce testament « in extremis »