l’animal se cabra, pivota sur lui-même et reprit sa course, laissant son adversaire étendu, le crâne ouvert.
Sur le cheval en folie, Miss Arabella luttait vaillamment, décidée à vaincre, souhaitant seulement qu’aucun obstacle ne surgît sur leur route. Heureusement, cette course effrénée offrait un champ plus libre, moins dangereux. Si aucun accident n’arrivait, l’animal finirait par s’épuiser et l’écuyère pourrait reprendre son empire sur lui.
À peu de distance, la route faisait un brusque détour, avant de suivre un pont, jeté sur une rivière, le cheval, ignorant le détour, fonça droit vers l’eau.
Au même instant, un jeune homme surgit, se jeta résolument au cou de la bête et s’y cramponna, ne voulant pas lui serrer trop brusquement les naseaux, de peur de le voir s’abattre. Cependant, comme la distance qui les séparait de la rivière diminuait rapidement, il se décida à cette manœuvre suprême, mais trop tard : le cheval, lancé, entraînant ses adversaires, fit un terrible plongeon.
Une seconde plus tard, tous trois venaient séparément à la surface, et le jeune brave, sans s’occuper du cheval enfin calmé, nagea vigoureusement vers l’écuyère, mais celle-ci, qui avait déjà repris son sang froid, lui cria :
— Occupez-vous de vous-même ; je nage comme un poisson !
Cependant, comme elle disait ces mots, un frisson secoua son corps et le jeune homme la vit pâlir, se laisser aller sur le dos et s’enfoncer lentement sous l’eau, sans aucune résistance. D’un élan, il lui saisit un bras pour l’attirer à lui, puis, prenant le col de sa veste d’une main, il nagea vers la rive où le cheval, déjà sorti de la rivière, se pâmait, haletant.
Le personnel monté du cirque recueillit le jeune homme portant dans ses bras Miss Arabella, évanouie ; puis, arriva l’automobiliste maladroit, plus pâle encore que sa victime involontaire, ne sachant que dire, bredouillant une phrase incompréhensible dans laquelle se répétait le mot « Sorry ! », comme un « leitmotiv ».
Mister Baldwin était un homme de décision. Réquisitionnant l’auto, il installa Miss Arabella au centre du coussin d’arrière, obligea le jeune homme à s’asseoir près d’elle, puis, les enveloppa tous deux dans l’unique couverture et enfin, s’asseyant près de sa fille, dit calmement au chauffeur :
— Arrête de « brailler » et conduis-nous au Nickel Range ! »
Quelques minutes plus tard, Miss Arabella était confiée aux soins de Madame Baldwin, éplorée, tandis que le manager faisait déshabiller et coucher le jeune sauveteur et notait sur son calepin les pointures de ses vêtements.
Puis, il donna des ordres qui furent exécutés avec une célérité invraisemblable, car à peine le jeune homme eût-il avalé un excellent punch au rhum, qu’un commis de l’hôtel venait déballer de nombreux colis comprenant tout ce qu’il faut à un gentleman pour s’habiller décemment. Rien n’avait été oublié : tout y était depuis la combinaison de « jersey » jusqu’au chapeau de feutre mou.
Le commis posa tous ces objets sur des sièges en disant :
— Mister Baldwin envoie ceci pour remplacer vos vêtements trempés. La chambre de bain est ici.
Puis, du dernier paquet, il sortit un rasoir de sûreté, un blaireau, un tube de crème pour la barbe, une brosse à dent et un savon dentifrice. Décidément, Mister Baldwin ne manquait pas de méthode, même dans les circonstances les plus dramatiques.
Le jeune homme fit rapidement sa toilette et s’habilla. Il eut quelques difficultés à trouver le bon chemin pour pénétrer dans la combinaison sans boutons, mais il fut ébloui par la superbe chemise et les chaussettes de soie ; les jarretières écossaises étaient un chef d’œuvre de fantaisie ; l’habit de fine serge avait une excellente coupe, le col mou et la cravate, les souliers jaunes et le chapeau belge contribuaient à former une tenue élégante, d’une élégance un peu criarde, il est vrai !
Le jeune homme achevait à peine de se vêtir, quand on frappa à la porte ; c’était Mister Baldwin :
— À la bonne heure, s’écria-t-il, dès le seuil, vous voici prêt !… Venez, Miss Arabella, ma fille, désire vous remercier !
Il le conduisit à la chambre de l’écuyère, où Madame Baldwin, une grosse dame très exubérante, l’accabla de remerciements ; c’est tout juste si elle ne lui sauta pas au cou. Enfin, elle se décida à le pous-