trefaisant sa voix, il signalait aux autorités que Napoléon Piémontais allait passer un « char de whiskey » et, tandis qu’on arrêtait son automobile chargée d’inoffensifs légumes, son chauffeur passait le vrai « chargement » à 70 milles à l’heure.
On n’a pas oublié, à Timmins, l’histoire du tonneau de cornichons. Un énorme baril fut un jour débarqué du train, portant la mention « PICKLES » et le nom d’un destinataire complètement inconnu. L’agent du revenu, mis en éveil, « pipa » le contenu qu’il reconnut être du whiskey en esprit. Décidé non seulement à confisquer l’envoi, mais encore à mettre le destinataire sous verrou, il fit laisser le baril bien en vue sur la plateforme de la station et plaça un guetteur en permanence, revolver au poing. Pendant huit jours, les guetteurs se succédèrent sans résultat ; personne ne s’était approché du baril. Cette situation se serait sans doute prolongée si, par hasard, un homme n’avait légèrement bousculé l’objet qui tomba et se mit à rouler.
Il était vide. On s’était glissé sous la plate-forme qu’on avait percée, ainsi que le tonneau, à l’aide d’une vrille et, par un tube de caoutchouc, le contenu avait été transversé et mis en lieu sûr. En lieu très sûr, car il n’y a aucun doute qu’il était déjà vendu, bu et… digéré quand fut découverte la supercherie.
Énumérer la liste d’affaires criminelles auxquelles ce démon de la nuit prit part pendant sa longue carrière, tiendrait trop de place et d’ailleurs, sur ce sujet malsain, mieux vaut ne pas trop insister. Il était toutefois nécessaire de présenter avec quelques détails le sinistre bandit, qui joue un rôle important dans la suite de ce récit véridique, pour faire comprendre en quelles mains redoutables était tombé Joseph Lespérance et la funeste influence que put avoir cette rencontre sur sa triste destinée.
Lorenzo, après son exploit, n’avait pas fait la bêtise de s’enfuir par la porte. Poursuivi par quatre gaillards plus jeunes et plus vigoureux que lui, il eut été vite rejoint et « lynché ».
Une des fenêtres de son établissement, au rez-de-chaussée, donnait sur un terrain inculte, par lequel on pouvait rejoindre l’église ; c’est cette direction qu’il prit, tandis que ses poursuivants se ruaient d’instinct vers la porte.
Arrivé à l’église, il modéra sa course, de crainte de se faire remarquer, et frappa à une maison d’aspect misérable, dont une fenêtre s’ouvrit presqu’aussitôt.
— Descends ! fit Lorenzo.
— Ah ! c’est vous, boss. Ça va prendre une minute.
Peu de temps après, en effet, l’homme, en manches de chemise et nu-pieds, ouvrait la porte, que Lorenzo referma après être entré.
— Habille-toi et fais ton plein d’essence, fit Lorenzo de son ton de commandement.
— Pourquoi faire ?
— Ça ne te regarde pas ! Est-ce que je t’ai toujours bien payé tes voyages ?
— Ah ! çà, oui, boss, j’ai pas à « kicker » sur la paye !
— Eh bien ! double tarif pour cette nuit, mais fais vite !
— Ah ! ça prendra pas de temps ! La machine est toute prête. Je devais partir demain matin « à bonne heure » !
— Fais vite !
Deux minutes plus tard, la machine démarrait :
— Où allons-nous ? s’informa le chauffeur.
— Porquis Junction !
— All right, boss !
Et l’auto s’enfonça dans la nuit.
L’homme était un fameux conducteur, comme le sont généralement ceux qu’emploient les « bootleggers » et, malgré le mauvais état des routes à cette époque, la voiture avançait à une vitesse folle. Mais, pendant un virage, un reflet frappa la vitre et l’homme, intrigué, ralentit.
— Qu’y-a-t-il ? s’exclama Lorenzo.
— Un feu ! répondit l’autre en stoppant. On dirait que c’est de votre bord !
Lorenzo regarda ; non loin de l’église, un foyer projetait ses lueurs fauves, éclairant le clocher. Malgré son flegme, il frissonna. Dans leur fureur, ses victimes avaient mis le feu, l’alarme devait être donnée et bientôt, on se lancerait à sa poursuite.
— Laisse brûler, s’écria-t-il, et file au plus vite !
L’homme hésita, se gratta la tête, puis se décida à dire :
— On croirait que c’est votre baraque qui brûle. On serait mieux d’aller voir.
— Es-tu fou ?… Avance, que je te dis