Page:Nel - L'empoisonneur, 1928.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
L’EMPOISONNEUR

au gain, Lorenzo était capable de braver tous les dangers, plutôt que de renoncer à un projet criminel.

L’un des prospecteurs semblait plus pusillanime que ses compagnons ; il l’oblige à devenir son complice malgré lui. Terrorisé par la gueule menaçante du revolver, le trembleur vide consciencieusement les poches, en commençant par les siennes. Lorenzo lui fait réunir tout l’argent sur la table, à proximité de sa main, puis, sans quitter l’adversaire du regard, il empoche la recette.

Alors, il ouvre tranquillement la porte et lance un adieu gouailleur. Ce suprême affront exaspère l’une de ses victimes qui, n’y tenant plus, saisit une chaise, avec l’intention de la lui jeter dans les jambes, mais aussitôt, le malheureux tombe, frappé en plein cœur, tandis que, profitant de la stupeur causée par ce lâche attentat, le bandit disparaît, refermant la porte derrière lui.

Sans hésiter, à présent que le canon meurtrier n’est plus braqué sur eux, les quatre hommes se ruent à sa poursuite, bousculant la table si violemment que la lampe à pétrole roule au pied d’une tenture. Les hommes, assoiffés de vengeance, ne s’en aperçoivent même pas et, dans cette trappe de la mort, qui en quelques minutes va devenir la proie des flammes, ils laissent le cadavre de leur compagnon et le corps inerte de Louis Comte, évanoui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce soir-là, ainsi que d’habitude, Hector Labelle avait gagné sa mansarde aussitôt après la fermeture officielle de l’établissement.

Il avait relu la lettre de sa pauvre Jeannette et s’était mis au lit en proie à de tristes pensées, mais un garçon de 19 ans, qui travaille toute la journée, et se lève de bonne heure chaque matin, souffre rarement d’insomnie ; aussi, malgré sa mélancolie, il tomba bientôt dans un profond sommeil.

Réveillé en sursaut par une détonation, il eut l’intuition, plutôt que la certitude, que c’était un coup de revolver. Comme il prêtait l’oreille, il entendit le claquement d’une porte, puis une course rapide vers l’arrière du magasin et le bruit d’une fenêtre qu’on ouvre ; enfin, presque aussitôt, le vacarme d’un groupe d’homme courant dans l’escalier et se ruant vers la porte extérieure.

En une minute, il fut sommairement habillé et, sans hésiter, descendit vers le magasin. Tout à coup, ses narines frémirent, reconnaissant l’odeur si redoutée de l’incendie. Il précipita sa descente et, malgré l’âcre fumée qui emplissait l’escalier, l’aveuglant, le suffoquant, il courut jusqu’à l’entrée du sous-sol où le feu faisait rage.

Un gémissement lui parvint, tandis qu’il buttait sur un corps. À ses pieds, Louis Comte, revenu de son évanouissement pour sentir aussitôt les affres de l’asphyxie, se traînait péniblement, tentant d’appeler au secours.

Hector saisit le malheureux et, bien qu’il sentît lui-même ses forces l’abandonner, il parvint à le hisser jusqu’au rez-de-chaussée, au moment où les flammes commençaient à se montrer, léchant les murs.

Quelques pas seulement les séparaient de la rue ; ils touchaient au salut, mais l’asphyxie commençait à gagner le jeune héros et il tomba avec sa charge. Bien qu’il eût eu plus de chances de se sauver s’il se fût libéré de son fardeau, il n’y songea même pas ; il saisit le bras de l’homme inconscient et le remorqua à sa suite, se traînant vers la porte libératrice.

Quand l’alarme fut donnée et que les secours arrivèrent, les plus hardis trouvèrent, sur le seuil de la maison en flammes, deux corps inanimés. Cependant, on parvint à les ramener à la vie, grâce à la pratique de la respiration artificielle et sauveteur et sauvé furent hébergés dans une maison voisine où chacun, doté d’un bon lit, devait se remettre promptement ; si promptement que quelques heures plus tard, Louis Comte avait disparu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain matin, le docteur vint examiner Hector et déclara qu’il ne se ressentirait en aucune façon de son accident.

Alors, un autre personnage vint lui annoncer, qu’en sa qualité de shérif, il se voyait dans l’obligation de l’emmener pour être retenu comme « témoin principal ». Et voilà comment un acte de bravoure lui valut la prison.

On avait retiré des décombres fumants un cadavre carbonisé, mais l’autopsie avait