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L’EMPOISONNEUR

— Je ne veux pas vous faire jouer CONTRE moi, mais AVEC moi. Pour faire beaucoup d’argent, il me faut un partenaire et en ce moment, je cherche un élève. Voulez-vous le devenir ?

Joseph se sentait subjugué par cet homme, aux allures de sorcier, qui venait de faire résonner à ses oreilles une phrase magique :

« Pour faire beaucoup d’argent ! »…

Oui, mais il devait y avoir des risques ! Encore une fois, il extériorisa sa pensée :

— Non, non, je prends pas de chances !… J’veux pas avoir affaire à la police !

— Vous la craignez donc bien ?… Dites donc, c’est pas pour meurtre, toujours ?…

— Mais non !

— Alors, peu importe !… D’ailleurs, vos affaires privées ne me regardent pas, mais si vous voulez devenir mon collaborateur, je vous emmènerai dans une place où vous serez tranquille, je vous fournirai des faux papiers, je vous montrerai comment transformer votre physionomie et nous gagnerons de l’argent, tous les deux, autant que nous le voudrons !

— Mais…

— Tenez !… Essayez-vous un peu !… Prenez les cartes comme ceci…

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Et Joseph, qui la veille avait fait le premier pas dans la voie du crime, prit sa première leçon dans l’art de voler les gens, armé d’un jeu de cartes.

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Pendant ce temps-là, à Montréal, sa femme et sa fille allaient supplier son ancien patron de retirer sa plainte, s’engageant à lui verser douze piastres par mois jusqu’au remboursement total. Le brave homme, ému devant les larmes des courageuses femmes, avait accepté ; dès cet instant, elles se mirent au travail avec ardeur pour sauver l’honneur de leur nom et pour éviter la prison à celui qui les avait abandonnées et méditait de nouveaux crimes.

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Pendant ce temps-là, aussi, un jeune homme de moins de vingt ans atteignait la ville de Timmins, dans l’Ontario, le pays des mines d’or. Il était venu là par étapes, travaillant dans les villes qu’il traversait, pour gagner le prix de son passage et le coût de son entretien.

En mettant le pied sur le sol qui recouvrait le métal précieux, de ses yeux francs et bien ouverts, il regardait l’avenir avec confiance. De cet or, il voulait assez pour aller, dans deux ans peut-être, retrouver celle qui lui avait donné sa parole de l’attendre, pour lui créer un foyer heureux et paisible, pour lui assurer une vie douce et joyeuse, en compensation de son enfance semée de deuils et de douleurs.

Hector Labelle, semblable au gladiateur antique, défiait l’adversité, sachant que son amour et son courage sauraient vaincre tous les obstacles.


III

AU PAYS DE L’OR


Hector arrivait à Timmins à peu près sans argent et, de suite, il lui fallait trouver de l’ouvrage. Dans le train, il avait causé avec des ouvriers de la mine et avait éprouvé une grosse désillusion à l’énoncé du salaire que pouvait espérer recevoir un débutant. N’importe, il irait dès demain offrir ses services et il travaillerait avec tant d’ardeur qu’il obtiendrait bien vite un salaire plus élevé.

Pour l’instant, il fallait songer à réparer ses forces par un bon repas et se trouver un lit. Il avait suivi le flot des voyageurs. Certains étaient entrés dans un hôtel, situé en face de la gare ; la plupart se dirigeaient, par la rue principale, vers un hôtel de meilleure renommée, car, à cette époque, l’établissement ultra-moderne, sorte de Palace, qui se trouve actuellement entre la station et l’église, n’était pas encore construit.

Hector, sachant que les tarifs des hôtels les plus modestes, étaient encore trop élevés pour sa bourse, continua sa route jusque vers un restaurant à prix populaires. L’enseigne : « Quick Lunch », soulignée du traditionnel : « Hot Dogs ! » le rassura quant à la somme qu’il devait débourser pour calmer sa fringale. Il pénétra donc dans la salle, sous le plafond bas de laquelle s’amoncelait un nuage odorant, fumée de tabac et fumet de mauvaise graisse.

Un étrange spectacle s’offrit à sa vue.