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L’EMPOISONNEUR

connu retire ses vêtements qu’il place sous son oreiller. Par prudence, Joseph garde son pantalon et se glisse sous la couverture.

— On peut éteindre, demande l’homme ?

— Oui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour la première fois depuis le vol, Lespérance se trouve dans l’obscurité. Sous l’influence mystérieuse des ténèbres et du silence, toutes ses inquiétudes lui reviennent, aggravées par la présence de cet étranger qui lui a, en quelque sorte, imposé son voisinage.

Dans sa tête, il repasse tous les événements de cette journée où il a fait le premier pas dans le chemin du crime. Il se demande si les détectives sont déjà allés chez lui. Il éprouve un serrement de cœur à la pensée de celles qu’il a lâchement abandonnées et qui attendent là-bas. Mais bah ! il est trop tard pour songer à cela !… D’ailleurs, la Françoise n’a qu’à travailler et, avec l’argent que gagne Jeannette, sa famille ne connaîtra pas la misère !

Pourtant, il regrette son acte, car, depuis qu’il l’a commis, il est passé par tant d’émotions qu’il se demande s’il pourra longtemps en supporter de semblables.

Après sa fuite, pendant laquelle il se voyait poursuivi, traqué, étaient venus les remords ; maintenant lui vient l’inquiétude, la peur même, la crainte de cet inconnu qui se trouve dans cette chambre avec lui et qui, peut-être, est son ennemi.

Un ronflement discret, mais régulier, vient bientôt lui apprendre que l’inconnu n’est pas à craindre, pour le moment du moins et, terrassé de fatigue, il cède bientôt au sommeil, un sommeil lourd, peuplé de cauchemars.

Avec une rapidité affolante, il se voit arrêté, jeté en prison, puis traduit au tribunal, où on le torture de questions. Il veut se défendre, mais sa langue se paralyse, et, finalement, lassé du long interrogatoire, il avoue son crime :

« Eh bien ! oui, s’écrie-t-il, c’est vrai ! J’ai volé ! »

Sa propre voix le réveille, et, baigné de sueur, il s’assied sur son lit. L’homme aussi est réveillé, car il l’interpelle :

— Eh ! l’ami, vous en menez un train !

— Est-ce que j’ai parlé ?

La question vient de lui échapper. Déjà, il la regrette, se rendant compte combien elle est dangereuse, mais il est trop tard. L’autre reprend :

— Oh ! rassurez-vous ! Vous n’avez rien dit de trop compromettant. Allons, bonsoir !… Et tâchez de dormir comme du monde !

Joseph reste atterré !

« Vous n’avez rien dit de TROP compromettant ! … »

Il a donc dit quelque chose ?… Mais quoi ?… Jusqu’à quel point a-t-il trahi son secret ?… Est-ce que cet inconnu ne le livrera pas demain ?… Il a un mouvement de révolte. Ah ! çà, mais le sommeil va-t-il lui être refusé ?… Par crainte de se trahir, devra-t-il renoncer à tout repos ?…

Non ! C’est ridicule ! D’autres que lui ont commis de semblables fautes, de bien plus graves même, et les remords ne les poursuivaient pas sans cesse. D’ailleurs, est-ce bien le remords qui le rend si nerveux ?… La véritable raison de son état surexcité ne se trouve-t-elle pas dans le fait que, contrairement à son habitude, il n’a rien bu de la soirée ?

Comme pour le rassurer, le ronflement de l’étranger a repris. Alors, il cherche à tout oublier, il s’efforce de ne penser à rien, de s’endormir, mais d’une horloge voisine, les heures tombent les unes après les autres, et ce n’est qu’au petit jour que le malheureux peut enfin trouver un peu de repos dans l’oubli du sommeil.

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Tout à coup, Joseph se réveille en sursaut et bondit de son lit prêt à se défendre, mais il reste penaud en voyant son compagnon de nuit qui achève tranquillement de s’habiller. Celui-ci ricane en remarquant :

— Dites donc, l’ami, vous avez d’étranges façons de dormir et de vous éveiller !

Joseph bredouille une vague explication dans laquelle il est question de boisson.

— Je vois ce que c’est, dit l’étranger, vous aviez l’habitude de boire et vous avez cessé brusquement. Cela vous rend nerveux. Eh ! bien ! je vous offre un verre avant le déjeuner. Ça va ?

Joseph hésite un moment. Va-t-on essayer avec lui le coup classique de l’enivrer pour le faire se déclarer ?… Il se calme vite en réfléchissant que la police ne fait pas tant d’histoires pour un simple vol.