indigne d’être celui-là, je vous jure de consacrer ma vie à faire votre bonheur. Suivant votre réponse, je partirai désemparé ou le cœur plein des plus douces espérances. Si vous me repoussez, je ne reviendrai jamais dans cette ville ; je cacherai ma peine bien loin de vos regards. Mais si je pars avec votre parole, je travaillerai avec confiance et courage et, patiemment, je ramasserai le plus d’argent possible pour venir réaliser mon rêve. Ne cédez pas à un mouvement de pitié. Ne consultez que votre cœur et ne me donnez votre promesse que si vous êtes certaine de ne pas le regretter plus tard.
Maintenant, il avait cessé de parler ; anxieusement, il attendait l’arrêt de son destin.
Jeannette avait peine à contenir les battements précipités de son cœur. Ces premières paroles de tendresse qu’elle écoutait, comme elle les sentait sincères dans leur modération ; comme elle réalisait aussi qu’elles lui venaient du seul homme de qui elle eût accepté de les entendre !
Elle mit sa main dans celle que lui tendait Hector et, le regardant bien en face, elle déclara :
— Partez sans crainte. Je vous attendrai. Vous avez ma parole !
— Ah ! merci, Jeannette, s’écria le jeune homme. Avec votre promesse, je me sens le courage de conquérir le monde.
Braves enfants ! Dans leur candeur, ils avaient accompli ce prodige de se révéler l’un à l’autre leurs doux sentiments, sans même échanger une phrase d’amour !
La séparation fut cruelle pour tous deux, mais ils puisèrent le courage de la supporter dans leur confiance réciproque. Aussi, bien qu’elle fût privée de ne plus voir chaque jour son ami loyal, Jeannette trouva dans le souvenir de l’absent un doux réconfort.
Elle aussi, se mit au travail avec courage ; elle fit, à ses moments perdus, des ouvrages de broderie, y acquérant une si grande habileté qu’elle se créa bientôt une clientèle régulière. Alors, ayant calculé qu’elle pouvait gagner en brodant beaucoup plus d’argent que dans son ancien emploi, elle quitta la manufacture, bien qu’il lui en coûtât de se séparer des gentilles camarades qui avaient grandi auprès d’elle.
Plus que jamais, ses gains furent les bienvenus dans l’humble foyer, car Joseph, dont l’ivrognerie s’aggravait, écornait de plus en plus ses payes avant d’arriver à la maison. Son vice fut cause qu’il travaillât moins bien et moins vite, qu’il fût obligé d’accepter des diminutions de salaire. Il cria à l’injustice, s’aigrit, se mit à haïr la société, comme si elle était coupable de ses propres fautes. Il devint sombre et taciturne ; il n’entrait au logis que fort tard, souvent en état d’ivresse et il se couchait sans proférer une parole.
Françoise, toute à son bonheur de mère, prenait son parti de cet état de choses avec résignation. Mais un soir, Joseph ne rentra pas. Et le lendemain, deux hommes se présentèrent, munis d’un mandat d’arrêt contre lui ; ils fouillèrent la maison et repartirent sans avoir rien trouvé qui pût les éclairer.
Jamais on ne revit Joseph Lespérance.
I
VOLEUR
Quand Joseph eut commis son vol, il n’hésita pas un instant sur ce qu’il devait faire. Depuis le lundi, où il avait reçu sa notice, pour s’être présenté ivre à l’ouvrage, son plan était tracé, non seulement pour la faute, mais aussi pour la fuite.
Il avait déjà remarqué avec quelle facilité un employé de son atelier pourrait entrer dans le bureau du contremaître, quelques instants avant la paye, prendre dans le tiroir les enveloppes que le comptable venait d’apporter et sortir de l’établissement sans être inquiété.
L’alcool, qui lui avait suggéré ce vol, lui conseilla un autre crime, celui d’abandonner sa famille : sa femme et ses deux fillettes dont l’une était infirme. D’ailleurs, ne le fallait-il pas, pour fuir la justice ?
Il semble étrange qu’un homme puisse se résoudre à délaisser ainsi sa compagne et des êtres à qui il a donné la vie ; mais l’ivrognerie avait détruit en Joseph tout sentiment humain ; dans sa révolte contre la société, il était prêt à toutes les infamies pour avoir de l’argent et pouvoir s’en servir à son gré, sans entraves ; et le miséra-