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L’EMPOISONNEUR

pneumatique de rechange, fixé à l’arrière de la voiture, se laisse emporter dans la nuit.

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Et c’est ainsi que le 5 mai 1916, vers neuf heures du soir, des passants ébahis virent cet étrange spectacle d’une automobile lancée à vive allure, et portant, à l’insu du chauffeur, une fillette de treize ans, les yeux agrandis par l’épouvante, assise dans le cadre du pneumatique de rechange, et se cramponnant avec la force du désespoir.

Leurs cris ne parvinrent pas aux oreilles du chauffeur qui ne sut jamais quelles conséquences horribles son crime aurait pu entraîner.

Quant aux jeunes gens, malheureusement trop nombreux, qui osent imaginer des complots aussi infâmes, puissent-ils sentir la honte et le repentir envahir leur âme, à la lecture de ce triste récit, hélas véridique !

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Par bonheur, l’automobile dut ralentir à la tête de ligne des tramways ; l’enfant se laissa glisser, tomba dans une flaque d’eau, que les premiers rayons de soleil n’avaient pas complètement séchée, se blessa un genou et souilla davantage sa pauvre robe d’indienne, déjà imprégnée d’alcool et de boue.

Jeannette prit le premier tramway en partance, où elle se blottit dans un coin, honteuse des regards curieux et intrigués des voyageurs.

À mesure qu’elle approchait de son domicile, un immense découragement la saisit, dans lequel il y avait des sentiments divers : peur d’être battue, révolte d’une jeune âme innocente contre la duplicité et la méchanceté des hommes, contre l’injustice des gens et des choses, et l’idée dominante qu’elle serait mieux morte que privée de sa bonne maman.

Heureusement que cette dernière avait su lui inculquer de saines croyances qui la protégèrent de l’idée du suicide.

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— Ah ! te voilà, petite traîneuse ! Arrive ici que je t’apprenne à courir les rues plutôt que de rentrer à l’heure !

Son père est devant elle, ivre, terrifiant !… Elle veut fuir, mais la peur la tient, paralysée, sur le seuil de la porte. L’homme la saisit par un bras et la projette contre le mur en questionnant :

— D’où viens-tu, dans un pareil état, pleine de boue, puant la boisson ?… Hein ?… D’où viens-tu ?

Jeannette ne peut parler ; il lui semble que sa langue se raidit et gonfle dans sa bouche asséchée par l’angoisse !… Elle est comme hallucinée par ces yeux fixés sur elle, ces yeux d’ivrogne, injectés de sang, à moitié sortis de l’orbite, ces yeux semblables à ceux de l’homme qui l’avait menacée une heure plus tôt et qui, un instant, avait eu l’idée de la tuer.

La Françoise, épouvantée, veut intervenir. Jos. la repousse en hurlant :

— Mais laisse-moi donc !… Tu vois bien qu’elle est saoule !… Ah ! la gueuse ! elle me le paiera !…

Il décroche un fouet, arrache les vêtements de l’enfant et la bat si cruellement qu’elle perd connaissance.

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Le lendemain, malgré ses meurtrissures, Jeannette se rendit à l’ouvrage, craignant une nouvelle scène si elle restait couchée, mais, dès le début de l’après-midi, elle fut prise d’un violent accès de fièvre et le médecin de la manufacture la fit conduire chez elle.

La Françoise, qui malgré ses défauts, avait un cœur accessible à la pitié, s’alarma de voir l’enfant si changée. Elle lui prodigua des soins dévoués et intelligents et eut même des larmes sincères et des paroles de consolation… La pauvre martyre, que la moindre bonté touchait profondément, pleura avec elle. En un instant, la confiance jaillit entre ces deux êtres qui, jusque-là, s’étaient détestés. L’enfant ne cacha rien de ce qui s’était passé la veille et la grosse femme écouta son récit, poussant des exclamations indignées et brandissant le poing à l’adresse de l’inconnu, à qui, certes, elle eût fait passer un mauvais quart d’heure, s’il s’était présenté à ce moment.

Jeannette eut un autre sujet de consolation. Son jeune voisin, Hector Labelle,