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Réflexions présentées à la Nation Française, sur le Procès intenté à LOUIS XVI, par M. Necker[1].



Un seul entre tous les Rois, qui ont régné sur la France ; depuis Charlemagne, un seul a voulu fonder la liberté publique sur des bases indestructibles, un seul, entouré d’une Armée fidelle, et dans la plénitude de ses forces, a posé lui-même des bornes à son autorité ; un seul a dit un jour à sa Nation : venez, associez-vous à ma puissance, et donnez-moi plus d’amour ; un seul a jugé sans illusion les prérogatives qui sembloient depuis long-temps appartenir à sa couronne ; et dédaignant toutes celles qu’il croyoit inutiles à l’ordre public et au bonheur de la France, il s’en est détaché volontairement et les a déposées, pour ainsi dire, sur l’autel de la Patrie ; et ce Monarque, aujourd’hui, ce même Monarque, après avoir essuyé tous les genres d’outrage, après avoir fait l’épreuve des disgraces les plus amères, se voit renfermé dans une étroite Prison, et soumis aux rigueurs de la plus effrayante captivité. C’est là que, séparé du monde, il apprend de temps à autre, l’écroulement de sa fortune et de sa réputation ; c’est la qu’on vient de le dépouiller des derniers signes de sa grandeur passée, et c’est là qu’un jour, peut-être, on ira l’avertir de venir comparoître, avec toute l’humiliation d’un accusé, devant un Tribunal prévenu, devant un Tribunal dont la puissance n’existeroit pas aujourd’hui, sans un sentiment généreux, sans un premier acte de confiance de la part d’un Roi, que vous avez nommé vous-mêmes le Restaurateur de la liberté Française. Cette époque, remarquable dans les annales de la France, ne doit pas être encore effacée de votre mémoire, et l’histoire en con-

  1. Incertain si, dans les circonstances présentes, je pourrai, selon mes vœux, répandre en France, avec facilité, cette faible défense du plus malheureux des Princes, je prie ceux qui pourroient y concourir, de vouloir bien se réunir à mes vues. Ils ne risqueront pas de se compromettre, car j’ai pris soin de n’offenser personne ; et avec un sentiment profond, je crois avoir observé la modération que le désir de réussir devoit me suggérer. Je ne touche d’ailleurs, ni directement ni indirectement à aucune opinion politique, et j’espère qu’à ces conditions, je ne déplairai ni à la Nation, ni à ses Représentans. Ce 30 Octobre 1792. Necker.