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Dès lors, il fut institué dans l’opinion unanime de l’Académie l’héritier présomptif de notre vénérable secrétaire perpétuel. Mais quatre ans après, lorsque s’ouvrit la succession, ses travaux l’avaient épuisé ; il n’avait plus la force de paraître, ni à l’Académie, ni au Conseil supérieur de l’instruction publique, dont il était membre depuis quelques mois. Nous ne pûmes que déposer un honneur tardif sur le lit d’un mourant ; il succombait, non à la peine, comme quelques-uns l’ont semblé dire, mais à l’ardeur de sa noble passion.

N’ajoutons pas à nos regrets de l’avoir perdu la douleur d’imaginer qu’il ait mené une vie de souffrance et de captivité volontaire. C’est se méprendre étrangement sur la nature de ces âmes d’élite de penser qu’il leur en coûte pour vivre ainsi, et de les appeler les martyrs de la science et les victimes de leur dévouement. Le monde et les lettrés mondains peuvent juger de la sorte : le travail est, en effet, à leurs yeux, un effort pour monter, un moyen de parvenir, le prix d’acquisition plus ou moins onéreux d’un avantage de fortune ou d’ambition, et non une habitude naturelle, un besoin, une jouissance. Croira-t-on que ce fût par un vœu d’ascétisme et par une contrainte morale qu’Eugène Burnouf s’enfermait de longues heures dans la solitude de son cabinet ? Ah ! que l’on serait détrompé si l’on pouvait, témoin invisible, assister aux méditations du savant inspiré, voir cette allégresse et cette ardeur profonde de la pensée en travail pour résoudre un grand problème ; l’enthousiasme de cette évocation de l’esprit des peuples endormis sous leurs antiques ruines et qu’il semblait impossible d’en faire jamais sortir ; ces tressaillements de bonheur à l’apparition de la vérité qui se découvre, et cette joie ineffable de connaître, qui retombe sur l’âme