Pitre par mer calme et sous un ciel joyeusement diamanté de rires d’étoiles qu’il se réveille pour m’adresser ce reproche bien digne d’un Aldebaranien plein de mauvaise foi :
— Ta hideuse peur est si violente qu’elle a fini par m’affecter, moi le brave des braves de Tkoukra !
C’est abject et ridicule. Il a été si parfaitement anéanti par l’épouvante qu’il n’a pas même eu le courage de se sauver et d’aller voir à Paris, loin des tempêtes, ce qui se donnait à son cher Ambigu !
Mais moi, je lui échappe pour quelques heures, assez involontairement du reste, pendant notre dernière nuit à la mer, entre la Guadeloupe et la Martinique.
Je ne crois pas qu’il soit possible d’attribuer ce que j’ai vu alors à un rêve. Nous venions de nous lever pour remplacer les tribordais. Il était minuit, mais l’azur nocturne était si limpide que je me figurais, à certaines minutes, vivre au centre d’un immense saphir, sombre mais admirablement transparent. J’étais éveillé comme à midi, occupé à « parer » des « manœuvres » sur le râtelier de grand-mât ; je vois encore les défauts du filin, des bosses, des écorchures, et distingue nettement deux petites taches de coaltar sur la drisse de perroquet. Tout à coup je me sens comme grandir, comme monter dans l’air, puis je sais, à n’en pouvoir douter, que je ne suis plus dans mon corps. Je l’aperçois au-dessous de moi, ce corps, faisant des