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mots, nos fades couleurs et nos pauvres moyens humains ? »

— « Dommage, mon oncle, qu’il y en ait si peu aujourd’hui qui partagent ton opinion. Si tu voyais tout ce qui s’écrit, ce qui se joue, ce qui se sculpte et se peint ! Je te défie d’y trouver, la plupart du temps, quoi que ce soit qui fasse penser à la beauté. »

— « Autrefois, on travaillait et l’on se disait comme Saint-Thomas d’Aquin : « Le Beau, c’est la splendeur du Vrai. »

— « Aujourd’hui, mon oncle, on ne travaille plus, et le Beau, c’est la splendeur du Laid. »

— « Les artistes de toutes les disciplines attendaient autrefois l’inspiration, avant de travailler. Aujourd’hui, je crois qu’ils attendent le « delirium tremens » !

— « Serpent noir ! tu as raison, mon oncle ! »

— « Bon ! Te voilà qui me vole mon juron favori maintenant !… Te rappelles-tu les soirs où tu t’entêtais à soutenir que tu adorais la musique et que, pourtant, tu « digérais » mal l’opéra ? »

— « Oui ! et je m’entête encore à dire que l’opéra est généralement de la musique superbe, souvent massacrée par des voix humaines, et par des mots humains, toujours. »

— « Tête de pioche ! Comprends donc que la musique qui soutient nos pauvres mots les emporte vers l’infini, vers l’inexprimable et leur donne un sens et une profondeur qu’ils n’auraient pas sans elle. »

— « Exemple, mon oncle ; « Faust » ! Musique admirable faite sur un libretto stupide ! »

— « Ben, mon Serpent noir ! Les librettistes Carré et Barbier étaient des as ! »