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— « Dis-moi que je suis bête, si cela te plait. Je sais que tu n’en penses pas un mot. Moi, aussi, je t’ai compris. Tu étais le bourru qui provoquait tout le monde, qui nous engueulait tour à tour, pour que nous ne nous apercevions pas de ton excessive sensibilité ! Tu étais un autre Valdombre. Mais tu ne me la faisais pas, oh ! pas du tout ! Quand tu avais fini de nous enguirlander, tu nous aurais donné ta dernière chemise, si nous te l’avions demandée. »

— « Serpent noir de tête de pioche, vas-tu bien te taire ! »

— Ce que je regrette le plus, mon oncle, c’est d’avoir eu si peu l’occasion de t’entendre jouer tes propres œuvres. »

— « Tu sais les vers de Chanteclerc :

« Nul, coq du matin ou rossignol du soir,

N’a tout à fait le chant qu’il rêverait d’avoir. » Je préférais te faire entendre n’importe quelle musique, plutôt que la mienne. »

— « Eh bien, tu avais tort, mon oncle ! Tu ne voulais même plus jouer en public. Pendant ce temps, une myriade de pianoteux ne se faisaient pas faute de donner des récitals et de se pousser à la radio. »

— « Vois-tu, je n’ai jamais su me prendre au sérieux. Je me suis contenté de tendre vers un idéal de beauté que je n’ai jamais pu atteindre. C’est ce qui, vers la fin de mes jours, me fit rester dans l’ombre. Mais, toute ma vie, je me suis efforcé d’inspirer à mes élèves le culte de l’art et de la beauté. »

— « J’en connais un, en tout cas, mon oncle, qui a écouté tes leçons ; c’est Robert Choquette. »