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l’appel… Dans cette eau presque tiède, le froid n’engourdissait pas ses membres ; mais il fallait attendre avec courage. Il se fit une chaise avec les attrapes de la bouée, et de temps en temps, pour chasser le sommeil, il nageait aux environs. Ensuite il reprenait sa place, il pensait à sa mère et au pays ! Quelle aventure à raconter là-bas !… Les heures passèrent, et si lentement ! Le jour parut enfin et son courage augmenta avec son espoir. Très affaiblis cependant, ses yeux se fermaient quelquefois, il rêvait…, et, avec le soleil levant, apercevant le Neptune faisant route vers lui, il ne fut ni étonné, ni très joyeux.

« Maintenant, ajouta-t-il, je comprends quels risques j’ai courus et quelle reconnaissance je dois aux commandants. »

Après avoir quitté le jeune aspirant : « Mon cher Résort, dit M. Chartier à son second en lui serrant les mains, quelle douleur nous aurions éprouvée sans votre heureuse inspiration et combien je vous remercie. »

Huit jours après, le Neptune mouillait au Callao.

Callao est le port de Lima, capitale du Pérou ; de la rade on apercevait le sommet des grands édifices de l’opulente cité qu’ont bâtie les successeurs de Pizarre. Sur le bord de la mer, descendant jusqu’à la plage, s’étendent en amphithéâtre les maisons jaunes et blanches du Callao.

Cette dernière ville a conservé son cachet espagnol, avec des rues très étroites, où, à cause des tremblements de terre, les maisons n’ont généralement qu’un étage.

Dès que l’ombre du soir a ramené la fraîcheur, la ville, endormie tout le jour, se réveille. De tous côtés s’élèvent des bruits joyeux, des sons de guitare et des chansons. On danse avec une sorte de frénésie la samacueca, pas national du pays. Des groupes de mañolas (jeunes filles) circulent, se promènent, la mantille sur la tête ; chaque jeune fille, chaque groupe glisse rapidement, s’entre-croise, s’arrête toujours avec les mêmes exclamations joyeuses. Et en franchissant un seuil ami : Ave Maria purisima, disent les entrantes. San pecado concebidi, leur répond-on invariablement. C’est la formule consacrée des saluts. Celles qui arrivent prennent place à côté de leurs amies. Les jeux, les rires, les danses se succèdent alors jusqu’à une heure avancée de la nuit ; — très peu de cavaliers, encore moins de femmes mariées, absence complète de pères ou de mères. Il semble qu’il n’y ait au Callao et dans bien d’autres villes de l’Amérique du Sud que de très jeunes filles, à l’abri de tout souci, de tout chagrin, et dont l’unique affaire soit de rire et de danser.

Très bien accueillis, les jeunes officiers du Neptune se mirent vite à l’unisson ; ils apprirent en quelques jours les danses du pays et