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écouter aux portes, non, aux haies, enfin nulle part, même si j’entends prononcer mon nom. Et voilà ce qui m’a arrêté et aussi les méchants yeux de Thomy… Je les voyais briller à travers un trou de la haie. Maman, ces yeux-là m’ont fait penser à ceux du petit renard pris au piège que le père Quoniam nous a apporté l’hiver dernier.

— Si tu continues ainsi, nous n’en finirons jamais.

— C’est vrai, maman. Alors Thomy disait :

« Je le déteste, ce Ferdinand, je le hais, et aussi Marine, avec sa figure blanche ; je les tuerais volontiers, et j’aimerais les mordre si ce n’était à cause de la dame. Sans ces deux-là, la dame m’aurait pris et soigné et je serais un monsieur un jour, et j’aurais toutes leurs belles affaires et la dame m’embrasserait comme elle embrasse ces deux. Et c’est seulement à cause d’elle que je ne me sauve pas et que je ne vais pas à Cherbourg m’embarquer sur un bateau. Mais, dès que je ne vois plus la dame, l’envie me prend de faire du mal à quelqu’un. »

« Maman, si vous aviez entendu le ton méchant de sa voix, et il tapait du pied, et il tremblait de colère, maman.

— Et Thomas, que répondait-il ?

— Rien d’abord, et ensuite il a dit : « Et moi qui te soigne suivant mes moyens et qui t’apprends ce que je sais, tu me hais aussi ?

— Non, a répondu le petit méchant ; non, je ne vous déteste pas ; à preuve, c’est que je vous obéis et que je ne fais plus mal à vos bêtes ; mais je n’aime que la dame. »

« Alors, continua Ferdinand, j’ai vu Fanny qui revenait et j’ai fait : « Hou ! hou ! » Mais je n’étais plus gai, et depuis l’idée me poursuit de ce méchant qui n’aime pas ce bon Thomas et qui voudrait nous mordre ; comprenez-vous, mordre Marine, elle que j’ai vue l’autre matin apporter ses poires et son goûter à Thomy, et, comme récompense, il aimerait à la mordre ; eh bien, qu’il s’en avise, et je le battrai bien d’une jolie façon !… »

La mère essaya de faire entrer quelques idées de pardon dans cette petite tête révoltée ; mais Ferdinand s’endormit en répétant : « Je vais essayer de pardonner ; pourtant qu’il ne touche pas à Marine. »

Mme de Résort resta longtemps plongée dans ses réflexions, et ensuite à la première occasion, après en avoir causé avec le berger, elle essaya, et sans se lasser, pendant l’année suivante, d’user de l’étrange influence qu’elle possédait sur cet être à demi sauvage, dans l’esprit duquel elle tenta aussi de semer quelques idées religieuses ; elle-même conduisit l’enfant au catéchisme et lui fit réciter sa leçon. Plusieurs mois s’écoulèrent et le berger comme la dame espérèrent