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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

toute bonne et charitable qu’elle est, la dame du Pin place drôlement sa confiance. — Et puis, ajoutait une commère, vous verrez, sûr et certain, que, s’il reste au pays, le garçon donnera du fil à retordre à ses bienfaiteurs, ayant plutôt l’air d’un singe que d’un chrétien. J’ai vu des fois un singe à Cherbourg, tout noir avec des yeux pareils, et dà, vous me croirez si vous voulez, mais, à mon sens, voyez-vous, je pense que c’est p’t’être ben la cause pourquoi le sorcier il a voulu être son parrain ! D’ailleurs, je mens point ! et la Fanny, la bonne du Pin, m’a raconté que ce petit gars était mauvais comme un diable de quatre ans. »

Un mois après la catastrophe, la fillette, bien rétablie, pouvant supporter quelque fatigue, Mme de Résort conduisit elle-même les épaves vivantes à Cherbourg.

Là, divers consuls étrangers interrogèrent vainement les deux enfants, sans qu’aucune lumière sortît de ces interrogatoires.

La fillette paraissait âgée de quatre à cinq ans, elle avait l’air intelligent, mais déjà elle se rappelait à peine une langue que personne n’entendait autour d’elle, et puis, très intimidée, elle pleurait au lieu de répéter les phrases dont elle se servait encore parfois : ces phrases ou plutôt ces lambeaux de phrases, Mme de Résort s’était appliquée à en écrire quelques bribes, mais sans y rien comprendre. Plusieurs mots offraient une certaine ressemblance avec d’autres mots anglais ou espagnols, et voilà tout ce qu’on put découvrir à Cherbourg après un examen prolongé.

Le petit garçon ne répondit qu’en français, en baragouinant : « Moi savre pas, moi pas connire, pas comprenire vos… »

Menaces ou promesses ne purent tirer autre chose du gamin.

On parla beaucoup au sujet des naufragés en donnant quantité de conseils à leur protectrice. Celle-ci d’ailleurs n’éprouvait aucune hésitation quant à la petite Marine ; seulement, à cause de son propre fils, elle n’osait entreprendre de civiliser l’autre épave, dont la malice paraissait augmenter tous les jours.

Le garçon resta donc à Cherbourg, pour y être confié à des hommes excellents placés à la tête d’un orphelinat. Et ces hommes perdirent presque la tête à cause de la méchanceté et des inventions terribles de leur nouvel élève. Le jeune sauvage tantôt mordait, battait ses camarades ou déchirait ses propres habits, tantôt jetait ses matelas dans le puits de l’établissement. Un jour, à la satisfaction générale, il disparut sans laisser la moindre trace. Au bout de quarante-huit heures, il fut rencontré par Fanny, errant, à demi mort de faim, dans la lande près des Pins. Après l’avoir grondé, raisonné, habillé à neuf, Mme de Résort le confia aux soins de Charlot. Il comprenait et