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perdu la veille ? On n’en sait rien, les quatre hommes qui la montaient étant morts avant de prononcer une parole ; des survivants, deux jeunes enfants, l’un est très malade et l’autre paraît muet. La femme d’un officier de marine a recueilli les enfants, et les quatre hommes ont été inhumés dans le cimetière de Siouville. »

Le procès-verbal, signé par qui de droit, fut enfermé dans un carton et on n’y songea bientôt plus.

Le garçon paraissait âgé de neuf à dix ans, et chacun fut promptement convaincu que cet enfant n’était ni muet, ni sourd ; mais il ne voulait pas dire un mot ; il s’obstina à garder le silence et à se faire comprendre par gestes jusqu’au jour où il sut écorcher le français ; alors il fit des progrès rapides, parlant d’abord avec un horrible accent et des intonations rauques et bizarres, mais dont il se débarrassa très vite. D’ailleurs rien chez cet enfant ne prévenait en sa faveur. Les cheveux crépus, le teint assez clair, les yeux noirs et beaux, mais à l’expression rusée, les lèvres grosses, la taille bien prise et les attaches fines, tout cet ensemble faisait présumer que le plus âgé des naufragés était de sang mêlé. Vainement on nomma une bonne quantité de pays et de villes en sa présence : l’air effronté et méchant, il demeura impassible.

Ravi d’avoir un compagnon à peu près de son âge, Ferdinand essaya de s’en faire comprendre par gestes ; il lui apporta des friandises et des jouets que le naufragé accepta, mais sans témoigner ni joie ni reconnaissance, l’air farouche et mauvais au contraire. Mme de Résort ordonna à Fanny de ne jamais laisser jouer les deux enfants sans être présente elle-même. Charlot partagea sa chambre avec cet être étrange qui, resté seul la première nuit, avait essayé de se sauver en brisant toutes les vitres de la pièce où on l’avait enfermé.

Mais au bout de quelques jours le petit sauvage parut s’humaniser. Ferdinand arriva un matin auprès de lui chargé d’un cheval de bois et d’une belle tartine de confitures ; alors Fanny crut pouvoir s’absenter un instant ; bientôt, rappelée par des cris perçants, elle accourut très effrayée avec son neveu ; Charlot dut employer toutes ses forces pour délivrer le pauvre Ferdinand, que l’autre mordait, battait et égratignait sans vouloir lâcher prise.

Ferdinand raconta qu’après avoir joué assez tranquillement, il s’était mis en devoir de partager la tartine en deux, mais qu’alors l’étranger, bondissant sur lui, l’avait frappé tout en se saisissant de la tartine. « Et puis j’ai crié, disait Ferdinand à sa mère, en pleurant à chaudes larmes ; je ne veux plus le voir, ce méchant-là qui a déjà cassé presque tous mes joujoux ; je ne m’en plai-