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LES NAUFRAGÉS.

paraissait absolument épuisée. Ces spasmes durèrent peu, les membres raidis se détendirent, quelques gouttes d’eau-de-vie purent être avalées et gardées. La petite fille revenait à la vie comme le garçon sur l’autre lit. Tous les deux s’endormirent bientôt et leur respiration égale annonça un prochain retour à la santé.

Cependant le maire de Siouville entrait, précédant et introduisant deux officiers délégués des autorités, un lieutenant de vaisseau et le commissaire de l’inscription maritime. Tous trois arrivaient afin de commencer une enquête. Ils devaient aussi dresser le procès-verbal des renseignements qu’ils pourraient recueillir à propos du navire, perdu corps et biens, suivant toute apparence, les deux enfants exceptés.

Examinés d’abord, les cadavres fournirent cette unique certitude que ces hommes appartenaient à notre race et avaient été des marins naviguant sans doute au commerce, accoutumés à courir sans chaussures sur le pont des bateaux, car leurs pieds comme leurs mains à la peau lisse et usée, dont les ongles existaient à peine, gardaient encore des taches de goudron.

Ensuite toute l’attention se porta sur les survivants : à présent tout à fait réveillés, ceux-ci parlaient dans une langue inconnue et ne se ressemblaient en aucune façon. Le garçon avait de grands yeux noirs et des cheveux également noirs. Les joues, brunes et hâlées chez l’un, étaient blanches chez l’autre avec un contour délicat, comme le reste de la figure qu’éclairaient des yeux bleus et doux entourés de cils très longs et surmontés de sourcils bien dessinés. Une masse de cheveux blonds comme de l’or pâle encadraient cette jolie petite tête. En séchant, les cheveux frisaient et des boucles se mêlèrent avec les franges du châle qui entourait l’enfant. Tout à coup, la fillette poussa un gémissement, et des gouttes de sang coulèrent sur son cou. Mme de Résort, écartant les cheveux, découvrit une oreille sanglante et tuméfiée qu’on s’empressa de laver : le lobe en était fendu et comme arraché.

« Ce sont les naufrageurs, s’écria le berger, ils ont sûrement arraché les oreilles de cette pauvre petite pour lui voler ses boucles d’oreilles.

— Une seule, reprit le médecin, qui achevait de panser la plaie, une seule ; voyez, un bijou pend encore après l’autre oreille. »

En effet, les misérables avaient été surpris, et à la seconde oreille restait attachée une perle fine.

L’enfant soulagée retomba dans un demi-sommeil. De son côté, le garçon, ayant secoué les couvertures, témoignait clairement son envie de courir, en dispersant les cendres qui le couvraient encore.