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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE.

de soleil couchant tomba d’aplomb sur les environs du Nez-de-Jobourg. Alors un homme cria, le bras étendu vers le petit cap.

« Là-bas, regardez ! » et une exclamation sortit de toutes les poitrines. Ensuite chacun resta muet…, saisi d’horreur.

Complètement désemparé, les mâts rasés et sans autre voilure que son foc en lambeaux, à une encâblure des roches aiguës qui entourent le cap de Jobourg, un grand navire montait et descendait, ballotté au gré de la houle immense. Très certainement ce navire ne gouvernait plus. Avait-il compris le danger trop tard pour s’être approché de la terre et par le temps qu’il faisait déjà la veille au soir, ou bien fut-il impossible de remplacer à son bord par un gouvernail de fortune celui que peut-être la mer venait d’emporter ? Le capitaine se doutait-il qu’avec son foc tel qu’il se trouvait encore et en laissant franchement porter, il pouvait échouer son bateau sur le sable et au milieu de l’anse ? En faisant ainsi, l’équipage, au moins, eût été sauvé.

Un des spectateurs raconta que dans l’après-midi, étant occupé sur les dunes, il avait aperçu un grand bâtiment courant des bordées sous ses basses voiles au large, mais encore beaucoup trop près de la côte. Une heure après, ce même bateau hissait le pavillon de détresse, et puis l’orage et les grains le rendirent invisible ; les deux coups de canon réclamèrent un secours qu’on ne pouvait lui fournir. À présent sa perte était certaine, ainsi que celle de ces hommes qui se débattaient là au milieu de cette mer démontée.

« Ne tenterons-nous rien ? c’est effroyable, » répétaient à chaque instant Mme de Résort, le prêtre ou quelques femmes. Plusieurs sanglotaient.

Le maire de Vauville fit observer qu’on avait essayé de signaler la plage de sable en y établissant une espèce de pavillon fait avec un drap de lit attaché au mât d’une barque, cela à plusieurs reprises, en remplaçant ce drap que le vent emportait toujours.

Une embarcation aurait été mise en pièces avant de traverser la première volute.

En ce temps-là, les canots de sauvetage n’existaient pas encore ; l’équipage de ce navire était donc condamné. Alors, debout sur une roche et la tête découverte, le prêtre récita les prières des agonisants ; ensuite il envoya la suprême bénédiction et la promesse de salut éternel à ceux qui en mourant penseraient à leur Dieu qu’ils avaient aimé et servi ou peut-être méconnu et offensé.

Sur la petite plate-forme, aux pieds du prêtre, tous les spectateurs agenouillés répétèrent amen, à chaque prière et à chaque invocation.

Cependant le bâtiment se rapprochait de plus en plus, on eût dit qu’il avait à demi viré afin de présenter son arrière aux roches aiguës ;