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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE.

de quelques mois, Mme de Résort put écrire à son mari, et en toute vérité :

« Si vous étiez ici, vous seriez émerveillé, car tout y est devenu facile, et grâce à ces honnêtes serviteurs j’y dépense à peine, en comptant toutes choses, le quart de ce que coûtait seulement notre nourriture à Paris. »

« Qu’est-ce donc ? » répétait Mme de Résort, très surprise de ne recevoir aucune réponse, remarquant aussi la tête de Charlot dans l’entre-bâillement de la porte. Fanny, qui donnait les signes d’une violente agitation, se décida enfin à parler.

« Madame, dit-elle, voilà Charlot, il arrive de la plage en me racontant une affaire terrible : un navire est en perdition sur le Nez-de-Jobourg, les pêcheurs en sont certains, car le navire s’obstine à ne pas venir échouer dans l’anse. Parle, Charlot, ai-je bien dit ?

— Oui, ma tante, oui, madame, et, et…

— Eh bien, quoi ? achève.

— Si vous voulez le permettre, ma tante, je redescendrai, et s’il y a moyen de sauver quelqu’un…

— Je te le défends bien d’aller te noyer, es-tu fou ? Tu vas rester ici avec moi. »

Charlot se tut, mais il regarda sa tante avec un air suppliant qui émut Mme de Résort.

Cependant l’orage paraissait s’éloigner. La foudre ne grondait plus qu’à de longs intervalles, lorsqu’un coup de canon fut répété par un écho prolongé. Mme de Résort reconnut promptement ce bruit entendu souvent à bord. Chacun prêta l’oreille et bientôt une autre détonation succéda à la première.

Deux coups ! c’est bien le signal de détresse d’un bâtiment en péril. Chacun se précipita, et par les fenêtres ouvertes, penchés en dehors, tous essayèrent d’apercevoir quelque chose au large, sur la mer. Mais un grain arrivait de l’ouest, des embruns jaillissaient entre la plage et la terre ferme. On ne découvrait rien au delà d’une centaine de mètres du manoir. Alors Mme de Résort s’écria :

« Eh bien, Charlot, vous et moi devons descendre sur la plage, peut-être serons-nous de quelque utilité ; en tous cas, munissez-vous de cordes solides, je vais emporter ma petite pharmacie et du vieux linge. »

Mme de Résort fit rapidement deux paquets, ensuite s’adressant à Fanny :

« Allez, lui dit-elle, chercher mon gros manteau, une capeline et des gants, vous resterez ici avec Ferdinand jusqu’à notre retour.

— Ah ! maman, s’écria le petit garçon, je vous en supplie, em-