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EN PERDITION.

paravent tout couvert de personnages chinois. À l’extrémité opposée, une autre table, sur laquelle les corbeilles à ouvrage de Mme de Résort occupaient la place laissée libre par les livres d’étude de Ferdinand. Une troisième table, plus petite, pouvait être rapprochée de la cheminée en cas de froid. Un second paravent masquait la porte d’entrée.

Dans le jardin, les géraniums gardaient encore leur belle couleur, et sur la façade extérieure, encombrant les fenêtres, des rosiers de Bengale fleuris se mariaient avec des vignes vierges aux feuilles déjà rougies. Par cette tourmente, il faisait bon dans cette grande salle voûtée, malgré les rafales qui ébranlaient la vieille maison.

« Quel temps ! dit Mme de Résort, et quoique je sache ton père à l’abri de nos tempêtes, je songe aux désastres que celle-ci causera ; elle est tellement violente, arrivée si subitement aussi… »

Mais Mme de Résort interrompit la phrase commencée. « Qu’est-ce, Fanny ? » dit-elle à une femme qui venait d’entrer.

Fanny, cuisinière et femme de chambre, repasseuse et blanchisseuse, était encore un peu la bonne de Ferdinand, son ancien nourrisson. Veuve, ayant eu le malheur de perdre son unique enfant, elle avait prié Mme de Résort de l’emmener aux Pins, ne demandant aucun gage, pourvu qu’il lui fût permis de prendre avec elle le fils d’une sœur : « Parce que, voyez-vous, madame, avait-elle ajouté, sa mère est morte quand il était tout jeune, et après une chute son père l’a si mal soigné qu’il en est resté boiteux ; alors sa belle-mère le maltraitait, et défunt mon homme et moi l’avons retiré chez nous ; s’il faut tout dire, le pauvre petit n’est pas intelligent, mais si bon, si honnête, et je ne saurais le laisser au pays derrière moi ! »

Engagée par Mme de Résort, Fanny ne tarda pas à remplir avec un plein succès les fonctions multiples dont elle s’était chargée. On lui donna des gages raisonnables, ainsi qu’à son « petit Charlot ». Haut de six pieds, « ce petit », laid et difforme, avait des yeux tristes et beaux, qui rappelaient ceux des chiens de chasse battus et affectueux quand même. Ces yeux prévinrent Mme de Résort en faveur du géant. Très fort, mais en effet peu intelligent, Charlot écoutait sa tante et lui obéissait comme un très petit enfant. Il rendit bientôt de grands services dans le modeste intérieur des Pins ; grâce à lui, le potager devint un modèle dans son genre. Charlot allait au marché tous les jeudis à Beaumont, ses grandes jambes l’y portant aussi vite que la vieille patache publique, et, chargé d’énormes paniers, il revenait du même train qu’il était parti. Pour se distraire, lorsqu’il faisait beau, et quand la tante Fanny lui en octroyait la permission, il pêchait aussi dans l’anse de Vauville, monté sur une vieille barque. Au bout