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baleinière put établir sa misaine et filer vent arrière jusque sous le vent du Neptune mouillé en grande rade.

Ses voiles amenées, accostée à l’échelle de tribord, la petite embarcation paraissait microscopique, accrochée aux flancs de l’immense colosse.

Les vieux habitants des ports militaires n’arrivent plus eux-mêmes sans un effort de mémoire à dépeindre notre marine d’il y a cinquante ans, alors à l’apogée de sa puissance et entièrement à voiles. Seuls quelques avisos à vapeur et à roue existaient déjà ; mais on ne les envoyait jamais loin de France.

Les vaisseaux à trois ponts, avec leur coque immense, leur mâture plus immense encore, étaient l’image de la force alliée à l’harmonie, parce que tout semblait y avoir été créé ensemble d’un seul jet. Plusieurs tableaux et quelques pontons, les premiers représentant des escadres ou des batailles navales, nous montrent encore ces arrières carrés avec leurs belles sculptures et leurs galeries à deux étages surmontées de larges dunettes encastrant le mât d’artimon. Du pont on accédait à la dunette par deux hauts escaliers ayant au fronton cette devise : « Honneur et Patrie ! » À la proue, un grand gaillard d’avant s’arrêtait au mât de misaine ; celui-ci, ainsi que les deux autres mâts d’artimon et le grand mât atteignaient une hauteur et leurs vergues une étendue dont aujourd’hui personne ne se fait plus une juste idée. Croirait-on, sans preuves à l’appui, qu’il existât des voilures représentant à peu près quatre mille mètres carrés de toile et des hunes larges comme le pont d’un brick actuel ? Dans ces hunes une bordée de gabiers vivait à l’aise et sans en descendre pendant les quatre heures du quart.

Peints à batterie en blanc et noir jusqu’à la ligne de flottaison, ces vaisseaux étaient armés de cent vingt canons, dont trente-six dans la batterie basse, vingt-quatre dans la seconde et dix-huit dans la troisième, avec des caronades sur les ponts des deux gaillards ; douze cents hommes formaient l’équipage réglementaire des vaisseaux à trois ponts ; cet équipage comprenait aussi une cinquantaine de mousses. Pour état-major : deux commandants, cinq lieutenants de vaisseau, cinq enseignes, une douzaine d’aspirants, deux commissaires au moins, trois médecins et un aumônier. L’état-major était augmenté de deux ou trois officiers lorsque le vaisseau portait le pavillon d’un amiral.

À présent, les nécessités d’une artillerie encore en état de formation ont créé une marine nouvelle où les navires cuirassés, les garde-côtes à tourelles, les avisos en fer, remplacent les anciens types. À chaque découverte une autre succède qui démode la précédente. Un isthme