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qu’elle était résolue, s’il naviguait, à aller avec son fils résider aux Pins, dès qu’ils auraient sous-loué leur appartement de Paris. « Et puis, Jean, ajouta la jeune femme, pendant trois ans je suis à peu près sûre de suffire à l’instruction de Ferdinand, que nous avons trop gâté, vous et moi ; tout en déplorant notre faiblesse, nous ne savions pas refuser à l’enfant la moindre fantaisie. À Paris, notre fils ne deviendrait-il pas envieux et mécontent à force de regretter une existence plus large ? Au contraire, je me charge de le rendre très heureux à la campagne, où je suis certaine qu’il oubliera vite ce qu’il est sage de lui faire oublier. »

Jean se rendit à ces excellentes raisons, admirant celle qui ne songeait qu’à son mari et à son fils.

Le mois suivant, ayant accepté le poste de commandant en second du Neptune et pris les dispositions nécessaires au plan tracé par sa femme, M. de Résort quittait Paris pour se rendre à Cherbourg, port où le vaisseau allait entrer en armement.

Arrivés l’avant-veille, Jean et Madeleine voulurent employer leur dernier jour de liberté, d’abord à visiter ce pèlerinage où ils s’étaient rendus si souvent dans leur jeunesse, et puis ils désiraient montrer ensemble à Ferdinand la maison paternelle, dont le petit garçon ne pouvait se souvenir, parce que depuis six ans, M. de Résort étant embarqué en escadre ou bien retenu à Toulon, sa famille habitait toujours la ville.

Le soir, au moment où le soleil couchant illuminait le paysage, M. de Résort, sa femme et leur fils quittèrent la ferme des Pins.

De nouveau conduits par Quoniam et traînés par Pied-Blanc, ils traversèrent la grande lande, que l’ombre envahissait déjà. Au bord du chemin les moutons ruminaient dans leur parc. Assis l’un auprès de l’autre, le berger et Pastoures semblaient causer. En les apercevant, Pied-Blanc s’arrêta et hennit doucement, pendant qu’une jeune voix criait :

« Bonjour, ou plutôt bonne nuit, berger.

— Bonsoir, monsieur Ferdinand, répondit gravement Thomas ; bonsoir, votre parole réjouit mon vieux cœur.

— Tiens, comment savez-vous mon nom ?

— Peut-être bien que je m’en suis informé, mon jeune monsieur, et puis, les gens d’ici, ils disent que les bergers sont sorciers ; mais c’est une sottise.

— Sorcier ou non, je pense que nous serons amis, berger, lorsque j’habiterai au manoir.

— Avec la permission de vos parents, monsieur Ferdinand, j’en aurai bien du bonheur.