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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

enfin, amiral, savez-vous au juste la cause de cette résolution subitement prise ?

— Subitement, non, répliqua l’amiral, car plusieurs fois déjà Canrobert me la fit pressentir ; mais il se décida à la suite des dissentiments qui s’élevèrent entre lui et lord Raglan à propos de la première attaque sur Kersch, résolue, puis abandonnée. Canrobert craignit ensuite d’être un obstacle au succès définitif. Muni d’une lettre de l’empereur écrite à toute éventualité donnant, à son défaut, le commandement au général Pélissier, Canrobert se rendit chez ce dernier, auquel il remit la lettre, après avoir développé les raisons qu’il avait pour agir ainsi.

« Pélissier se montra très ému.

« Général, dit-il, ne faites pas cela, je vous en supplie, plus tard vous le regretterez. Attendez au moins quelques jours.

— On ne regrette jamais d’avoir fait son devoir, répondit simplement Canrobert. La dépêche par laquelle je donne ma démission est partie ; Sa Majesté doit l’avoir déjà reçue. »

« Et, cette démission acceptée, entouré de ses officiers et de son état-major, l’ancien général en chef adressa à l’armée des adieux touchants, simples et dignes. Bosquet vient de m’écrire tout cela en ajoutant : « Beaucoup pleuraient, dont les yeux n’avaient pas versé une larme depuis tant d’années. Pélissier lui-même, qui n’est pas tendre, paraissait bouleversé. »

— Amiral, que pensez-vous du nouveau tsar ? demanda un convive.

— Alexandre suivra les conseils de son père : le 2 mars, avant d’expirer, Nicolas répétait encore à son fils : « Ne rends jamais Sébastopol. »

— Et les travaux du siège ?

— D’abord le nouveau commandant en chef n’entendra pas être contrecarré : de Paris les plans envoyés et l’investissement rêvé, il les repoussera sans aucune forme ; en revanche, il poussera vigoureusement l’attaque, malgré les obstacles renaissants, le choléra de nouveau signalé ; rien ne le découragera, et il ne laissera pas aux troupes le temps de se décourager.

« Il veut, dit-on, conquérir à tout prix la partie sud de Sébastopol, en s’établissant sur la Tchernaïa ; il essayera avant tout d’étendre jusqu’à Baïdar un corps d’armée inutile au siège. Et, de source certaine, je sais que nos travaux d’approche sur la tour Malakoff avancent lentement, mais tous les jours. Or vous n’ignorez pas, messieurs, que, si nous nous maintenions une heure seulement dans ce fort, Sébastopol serait en notre pouvoir, car alors nous serions les maîtres du faubourg de Karabelnaïa, la clef de la place.