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Quant à l’amiral, encore à Péra, Marine et notre vieil ami affirment qu’il se remettrait plus vite si cette impatience de servir en Crimée ne lui donnait un peu de fièvre de temps en temps. Et, ajoute ma sœur, les médecins sont unanimes : « Notre père a été trop malade pour reprendre du service actif d’ici à plusieurs mois. »

« À Toulon et à Constantinople, l’annonce d’un grand malheur venait d’arriver ; les lettres que j’ai reçues parlent surtout de la perte de la Sémillante, celles de mes parents expriment leur douleur à ce sujet, et, chez moi, tous pleurent notre ami.

— Je regrette beaucoup aussi M. de Langelle, répliqua Keith ; il m’avait été sympathique dès l’abord. Dans votre escadre, c’est une mort que l’on doit beaucoup sentir.

— Oui, chacun l’aimait et l’estimait ; mais seul peut-être je l’ai bien connu. Il possédait un cœur et une intelligence hors ligne, et il cachait ses belles qualités, ses enthousiasmes sous cet air un peu moqueur que nous lui voyions. Presque enfant, j’embarquai avec lui et je mis à l’aimer cet entrain des tout jeunes gens pour leurs aînés qu’ils admirent, et, au lieu d’en sourire, Langelle fut touché de mon affection ; il usa de son influence pour me guider. Ses moindres paroles, je me les rappelle. Rentrant en France après le naufrage du Henri IV, il paraissait désolé. « Quel malheur de partir, répétait-t-il, et sans avoir vu le feu. Moi qui rêvais d’une bataille magnifique, et de mourir si Dieu le voulait, en regardant les balles ennemies ; cependant j’essayerai de revenir. Le pourrai-je ? Cela dépendra de ma mère. Vous, mon cher ami, ajouta-t-il, vous aurez encore ce bonheur de lutter, de combattre, et puis vous reverrez le pays. C’est bête, me dit-il au moment où l’embarcation poussait, c’est stupide ; mais je suis triste à mourir. Allons, à revoir, et là où Dieu décidera. » Ce furent les derniers mots que je devais entendre de lui. »

De grosses larmes voilaient les yeux de Ferdinand ; Keith écoutait, profondément ému.

À cet instant, un soldat parut à l’entrée de la tente, et s’adressant à Harry : « Major Keith, dit-il, voilà un papier envoyé par le colonel.

— C’est bien, répondit Keith, vous pouvez vous retirer. »

Et il ajouta, en tendant à Ferdinand la missive qu’il venait de recevoir : « Lisez, mon cher Résort, car ceci vous regarde et vous intéressera. »

Ferdinand, très intrigué, lut avec quelque peine le contenu d’une feuille de papier jaunie, salie, froissée, écrite en mauvais français, avec une orthographe fantaisiste, dont nous ne reproduisons pas les bizarreries :