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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

que Thomy cherchait en vain, s’égarant sans cesse, revenant sur ses pas, craignant de rencontrer une fondrière, s’il quittait l’abri de la muraille, mal vêtu, glacé, croyant entendre des bruits extraordinaires sortir des tombes, derrière ce mur. Soudain une peur irraisonnée le saisit et il cria : « Au secours ! » Une voix répondit à cet appel, un hurlement étrange, prolongé. Alors, fou de terreur, oubliant toute prudence, il quitta l’étroit sentier et courut : rencontrant bientôt une barrière, il fit un faux pas et glissa sans pouvoir se retenir, jusqu’au fond d’un trou creusé comme un entonnoir et dont la blancheur neigeuse laissait distinguer les proportions.

Là il voulut remonter : s’accrochant des pieds et des mains, il retomba toujours, promptement blessé contre les glaçons aigus. Son couteau et un revolver lui avaient été enlevés par les soldats russes… Il poussa des cris de rage, en pensant qu’il mourrait de froid avant d’être secouru ou entendu par une ronde matinale. Pas un regret, pas un remords, seulement une colère de se trouver là, à présent qu’il possédait de l’or et le moyen d’en gagner davantage ; et, en criant, il maudissait sa destinée, sa mauvaise chance, il insultait la Providence…

Tout à coup il entend un bruit de pas… Oui, là-haut on marche, du secours certainement. Des patrouilles russes seules peuvent se trouver de ce côté à cette heure ; avec son sauf-conduit il ne court donc aucun danger.

Subitement rassuré, il appelle encore, et, la tête levée, il cherche à distinguer quelque chose aux abords du fossé… Terrifié, ses cris s’arrêtent et son épouvante renaît mille fois pire, parce qu’elle a sa raison d’être : là-haut dans la nuit sombre sont des points luisants, six, huit, dix yeux braqués sur la proie inespérée.

Attirés sans doute par les cris de l’espion, et toujours en quête dans les environs, les loups s’étaient rassemblés, affamés, soufflant bruyamment, prêts à s’élancer et la gueule ouverte. Le misérable croyait déjà sentir leur haleine fétide sur ses joues… Alors tombant à deux genoux, il cria : « Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi ! »

Peut-être ce cri désespéré fut-il accompagné d’un élan de repentir qui désarma la colère divine.

… Sous une tente aux avant-postes du camp anglais, Ferdinand causait avec le major Harry Keith. Les figures amaigries de tous deux témoignaient des fatigues de ce dur hiver encore loin de finir et de ce siège dont on ne prévoyait pas le terme.

Ferdinand disait : « Depuis que je ne vous ai rencontré, nous avons reçu le courrier de France, et, Dieu merci, ma mère paraît en bonne voie, elle commence même à marcher avec des béquilles.